L’Association des Professeurs de Lettres réunie en assemblée générale dénonce une fois de plus la manipulation qui depuis quinze ans consiste pour certains à tirer prétexte de la crise quantitative et qualitative du recrutement des professeurs pour promouvoir le processus de masterisation et de prétendue professionnalisation qui l’a causé.
Ce processus, qui consiste à marginaliser et à instrumentaliser le savoir disciplinaire au profit d’une pédagogie hors sol pétrie de sciences de l’éducation, a ouvert en 2010 un hiatus devenu béant en 2022 entre les raisons qui font à un étudiant embrasser l’étude de sa discipline et l’image du métier que lui renvoient les épreuves actuelles du CAPES, non plus académiques, mais conçues, sur le modèle managérial de l’approche par compétences, comme des études de cas et la déclinaison d’un credo. Ce n’est rien de moins que le lien organique entre les études universitaires et l’enseignement secondaire, celui de la transmission, que cette dénaturation des concours a corrompu. Aussi l’Association des Professeurs de Lettres se félicite-t-elle de l’évolution imprimée aux épreuves du CAPES, à nouveau presque intégralement disciplinaires. Elle demande cependant :
- que l’horaire imparti à l’épreuve écrite de traduction au CAPES de lettres classiques soit allongé et son coefficient augmenté ;
- que l’épreuve orale d’entretien soit supprimée, que l’explication de texte soit rétablie, qu’une leçon de grammaire soit instaurée.
Demeure nonobstant la perspective désespérante de sacrifier deux années aux doctrinaires des INSPÉs et d’y être infantilisé. En effet, quoi qu’allèguent certaines officines récemment converties à la défense de la formation disciplinaire et surtout soucieuses de préserver leurs prébendes, la masterisation n’a jamais visé à élever le niveau disciplinaire des professeurs, que le ministère fixa dès 2008 à la licence. Le processus de masterisation fait partie de la politique d’harmonisation des modalités de recrutement dans l’Union européenne, politique inspirée par le « livre blanc de la Commission européenne sur l’éducation et la formation » (1996) et le « programme de définition et de sélection des compétences clés » de l’OCDE (1997) ; elle procède de la mise en place de masters, non disciplinaires, mais professionnels et a pour objectif d’adapter l’enseignement des pays de l’Union aux besoins des multinationales par sa conversion à l’approche par compétences.
Pour l’APLettres, le seul moyen d’élever et de garantir le niveau disciplinaire des professeurs certifiés est de consacrer, une licence strictement disciplinaire une fois obtenue, une année pleine à la préparation des épreuves du CAPES, préparation incompatible avec celle d’un diplôme ou avec le suivi d’un stage en établissement. Par ailleurs, chaque discipline comportant dans sa structure même celle de son enseignement, l’APLettres ne croit pas que l’art d’enseigner ait besoin des révélations récentes du management éducatif. Aussi demande-t-elle :
- que dès la rentrée 2026 la possibilité soit offerte aux lauréats du CAPES de suivre un master recherche au lieu d’un M2E et d’être titularisés dans les mêmes conditions que les lauréats de l’agrégation ;
- que les masters professionnels et les INSPÉs soient à terme purement et simplement supprimés ;
- que la formation complémentaire, organisée par les rectorats en collaboration avec les universités, consiste en une formation pratique entre pairs et en cours de philosophie et d’histoire de l’éducation, de droit, de psychologie et de sciences cognitives (dont pourront bien sûr bénéficier les professeurs aguerris), ainsi qu’en l’approfondissement des connaissances disciplinaires par obtention d’un master recherche.
Voir aussi :
- Communiqué de la Conférence des professeurs spécialistes (28 octobre 2024)
- Motion sur le CAPES (31 mai 2024)
- Entretien à Franceinfo (15 mai 2024)
- Motion sur la formation et le recrutement des professeurs (3 février 2024)
- « Quelle mouche a piqué le CSP ? » : communiqué de la Conférence des associations de professeurs spécialistes (7 juin 2023)

