Le Bureau de l’Association des Professeurs de Lettres refuse de laisser enfermer dans des débats oiseux la question de l’hétérogénéité devenue excessive et ingérable des classes de collège. Ce problème, qui mérite mieux que des mesures palliatives, met en effet en jeu à la fois l’organisation de notre enseignement et les contenus enseignés.
Une politique d’« inclusion » dévastatrice
L’APLettres rappelle d’abord que la logique des cycles mise en place en 2015 a conduit, dans le cadre du cycle 3, à la disparition progressive des SEGPA et à l’inclusion de leurs élèves au collège. Plus largement, on doit à cette politique hypocritement appelée « inclusive » la présence croissante dans les classes d’élèves souffrant de troubles cognitifs ou psychologiques plus ou moins graves pour lesquels les professeurs ne sont pas plus qualifiés que les AESH dont on les flanque, présence qui perturbe profondément les conditions d’apprentissage de leurs camarades, sans qu’ils soient eux-mêmes en mesure de tirer aucun bénéfice des cours auxquels on les a inconsidérément assignés.
Des apprentissages nuisiblement retardés
Le Bureau tient en outre à souligner que, si les inégalités sociales se traduisent de manière aussi crue en inégalités scolaires à l’entrée en sixième, c’est parce que l’enseignement dispensé en amont par l’école primaire ne les compense plus. L’APLettres dénonce notamment le déport systématique des apprentissages de l’école primaire vers le collège opéré depuis les années 90 : comment justifier et comment accepter, alors même qu’on sait l’intelligence et la mémoire des enfants éminemment ductiles, qu’ait alors été rejeté hors des programmes ce qu’ils exigeaient pour tous depuis la fin du XIXe siècle, à savoir et entre autres la connaissance complète des temps de l’indicatif et des classes et fonctions grammaticales, des repères historiques et géographiques fondamentaux, la fréquentation assidue de textes du patrimoine ?
Pour un module de vocabulaire et grammaire intensifs
L’APLettres n’en reconnaît pas moins l’utilité du soutien scolaire, surtout tant que la cause des maux n’aura pas été traitée. Mais outre qu’elle ne voit pas qu’il nécessite un dérèglement général du temps scolaire, elle s’afflige que la question du contenu de ce soutien ne soit jamais abordée. Or ce dont les élèves en difficulté ont avant tout besoin, pour savoir réfléchir et s’exprimer, c’est des bases lexicales et grammaticales qui leur font défaut. Encore faudrait-il qu’on en finisse une fois pour toute avec cette aberration pédagogiste, désastreusement anti-pédagogique que constitue depuis plusieurs décennies le brouet qu’on appelle « séquence didactique ».
L’élève qui en a besoin suivrait ainsi, à la place d’une partie des heures de français de sa classe (pour rester avec elle lors des heures de littérature), sur tout ou partie de l’année scolaire, un module de trois heures de grammaire et vocabulaire intensifs. La mise en place de ce module, dont l’effectif ne serait pas fixe, proviendrait de plusieurs classes différentes et évoluerait en fonction des progrès des élèves qui y seraient détachés, dont en outre l’horaire pourrait ne pas correspondre à celui des heures de français qu’il remplacerait, serait à tous égards plus souple que la multi-partition figée et à effectif fixe qu’on nous propose. Ce sans préjudice d’une étude ouverte jusqu’à 19h.
La question perpétuellement évitée du collège unique
Si nonobstant le ministère juge utile que les élèves soient répartis selon leur niveau pour que la progression des enseignements y soit ajustée, on comprend mal la fausse pudeur qui l’a conduit, tout en réservant sa solution à deux disciplines seulement, à inventer ce curieux montage plutôt qu’à permettre la mise en place de classes de niveau.
Encore faudrait-il interroger cette dernière notion, les élèves réputés de faible niveau ne l’étant qu’à l’aune des critères qu’on leur impose et qui font fi de la variété des goûts et des talents. En vérité, le collège unique est un échec parce qu’il est oppressif. Ces élèves, qu’au nom d’une fausse bienveillance on force à s’ennuyer, à perdre leur temps et jusqu’à l’estime d’eux-mêmes, se révèleraient et s’épanouiraient si on leur offrait la formation qui leur convienne. Il serait désolant que les mesures prises ne visent qu’à maintenir quoi qu’il leur en coûte tous les élèves sous cette férule unique, ou que les débats dont elles font l’objet ne visent qu’à divertir les débatteurs de l’essentiel.