Rapport moral 2024

(adopté à l’unanimité lors de l’assemblée générale du 22 juin 2024)

Deux dossiers ont défrayé la chronique enseignante et suscité l’ire des syndicats et des associations depuis septembre : d’une part, la réforme dite du « choc des savoirs », notamment la mise en place de groupes de niveaux en français et en mathématiques, d’autre part, les aménagements apportés au Capes. J’ignore ce qui, dans ces deux dossiers, est le plus désolant des mesures prises ou des réactions qu’elles ont suscitées, tant celles-ci sont passées, par commodité ou par défaut de réflexion, à côté des enjeux de celles-là. Seule notre association, auprès des médias comme des autorités, les a clairement ciblés.

Les reproches adressés aux mesures annoncées en octobre par Gabriel Attal étaient si attendus, qu’on se demande si l’intention n’était pas précisément de déclencher un réflexe pavlovien aussi utile d’ailleurs au ministère qu’à ses prétendus opposants. Nous avons donc eu droit à l’habituel mélodrame des élèves discriminés et sacrifiés sur l’autel de ces fameuses économies dans lesquelles l’État français est bien connu pour s’illustrer. De même que cette antienne évite de s’interroger plutôt sur la destinée des milliards dilapidés, de même réclamer des moyens permet à bon compte de ne fâcher personne et surtout de ne rien changer en évitant de réfléchir aux causes du mal et à l’emploi desdits moyens. Ainsi, non seulement il n’a pas été davantage question, d’un côté ni de l’autre, de l’enseignement qu’il faudrait dispenser dans ces fameux groupes de niveau que de ce qui peut bien conduire à cette situation effarante qu’après cinq années consacrées, paraît-il, à l’apprendre les élèves entrant en sixième soient toujours incapables de manier le français et qu’il le soient toujours en seconde après neuf années. De fait, le discours de l’éphémère ministre, que le mot « savoirs » ne constellait qu’au pluriel, proclamait bien sa fidélité au socle de compétences, à l’approche par compétences – et larrons de s’entendre dans la foire de leurs affrontements à bon marché. Il s’en est même trouvé pour crier à l’exclusion parce que le passage en seconde serait conditionné à l’obtention du brevet, dont les exigences sont notoirement inférieures au niveau requis au lycée…

Reçus par la mission « l’excellence des savoirs », nous avons proposé qu’en sixième les élèves en difficulté fussent provisoirement détachés de leur classe pendant une partie du cours de français et suivissent à ces heures, en petit groupe, un cours de mise à niveau en grammaire et vocabulaire. Au lieu de quoi, on distribuera les élèves en « groupes de niveau » pérennes, les mêmes qui plus est en français et en mathématiques, sans perspectives ni programmes. Et ces gens reprochaient à notre proposition de les stigmatiser les élèves en difficulté ! Or nous pensons qu’un dispositif ne peut être envisagé seul et à vide, que son contenu doit être déterminé en fonction d’une déficience qu’il ne saurait pallier isolément. En l’espèce, il s’agit de remédier à l’infirmité linguistique des élèves, laquelle vient de ce qu’on ne leur a pas enseigné spécifiquement la grammaire, l’orthographe et le vocabulaire, qu’il faut donc, non seulement les leur enseigner enfin et sur un mode intensif au moyen d’un dispositif de remédiation, mais modifier en amont les programmes et les méthodes qui, avec la fonte des horaires consacrés à l’apprentissage du français, ont causé le mal. Pour le dire simplement, nous reprochons, et à ceux qui ont élaboré ce système et à ceux qui en combattent l’installation, de ne pas remettre en cause la séquence didactique et l’approche par compétences, qui sont au fondement du dogme pédagogique, celui qu’on dispense dans les instituts, ou plutôt les séminaires, du professorat et de l’éducation.

Aussi est-ce à l’approche par compétences, ce taylorisme pédagogique voulu par les philanthropes de l’European Round Table et que la mission sur « l’excellence des savoirs » défend pour son euro-compatibilité, que nous avons consacré notre intervention dans la matinale de Tocsin le 13 mai dernier. Nous l’avions déjà dénoncée dans notre entretien à Nousvousils le 13 mars, la liant alors à notre second dossier : la formation et le recrutement des enseignants, c’est-à-dire des exécutants, dont nous souhaitons précisément qu’ils redeviennent des professeurs, c’est-à-dire des spécialistes, les auteurs de leur cours.

Le ministère a décidé, dans l’idée d’attirer plus de candidats au Capes, qu’ils en subiraient les épreuves pendant la troisième année de licence. Épreuves certes de nature à nouveau disciplinaire – il faut s’en réjouir – mais dont la préparation se confond avec la licence elle-même et auxquelles succède, si l’on y réussit, un master professionnel, dont l’obtention conditionne la titularisation – ce qu’il faut condamner.

Le Capes avant l’obtention de la licence, c’est évidemment trop tôt, si tôt que c’est pain béni pour le SNES et sa myriade de satellites associatifs (que l’on reconnaîtra, en l’espèce, à l’emploi inapproprié du verbe « déqualifier »), qui trouvent ici de quoi et se refaire une virginité et faire oublier les vrais raisons du désastre autant que les intérêts qu’ils défendent. Car si l’on ne peut accepter que les épreuves du Capes soient fixées avant l’obtention de la licence, il n’en faut pas moins dénoncer les conséquences délétères de la masterisation, conséquences que nous avions, avec d’autres qui l’ont oublié, annoncées dès 2010. Loin d’élever le niveau de qualification des professeurs recrutés, force est aujourd’hui de constater que cette réforme l’a dégradé. Ceux qui invoquent l’excellence disciplinaire pour maintenir le concours pendant la deuxième année de master, feignent d’oublier que lesdits masters ne sont pas disciplinaires ; ceux qui arguent de ce que les licenciés d’aujourd’hui n’auraient plus le niveau de ceux de 2010 pour ne pas demander le retour du concours après l’obtention de la licence, savent pertinemment, tant ils en étaient marris, que la plupart des lauréats du Capes étaient alors issus des classes préparatoires, qu’ils n’avaient jamais mis le pied dans un cours de licence, la décrochant sans peine en septembre après l’avoir vaguement potassée pendant l’été, qu’ils étaient bien souvent titulaires d’une maîtrise quand ils s’inscrivaient au Capes. Ces gens-là ne sont que des masques qui, en claustrant le débat par une fausse opposition (concours en L3 ou en M2), évitent qu’il ne porte sur la logique commune à ces deux options : celle de la « professionnalisation » de la formation et du recrutement, qui a procédé de la confusion entre diplôme et concours.

Lorsqu’en 2010 le cabinet nous recevait, nous et d’autres qui ne s’en souviennent plus, il justifiait sa réforme, qui conjuguait la diminution du nombre d’épreuves, leur professionnalisation et le déport du capes en cours de M2 par cette logique fallacieuse et hypocrite : la fonction du concours est de valider les qualités professionnelles acquises pendant le master par les candidats, l’Université étant censée avoir certifié leur maîtrise disciplinaire en leur décernant la licence. Qu’il était flatteur, ce sophisme, pour ceux qui voulaient, en les handicapant, détourner des classes préparatoires, notamment des khâgnes, les futurs candidats au concours ! Tout ce à quoi ils sont parvenus, c’est que les khâgneux soe sont éloignés de l’enseignement et que les candidats au Capes version pédago ne sont plus, il s’en faut de beaucoup, les meilleurs étudiants. Non seulement ils se sont rendus complices de la crise du recrutement et de l’effondrement de son niveau, mais, par-dessus le marché, les Inspés convoitent à présent leur pâle clientèle. Quelle réussite ! Elle ne fait que prouver par la catastrophe ce qu’avec d’autres, qui l’ont oublié, nous martelions alors : que c’est la nature disciplinaire du concours qui lui attirait les meilleurs étudiants, ceux qu’anime la passion de l’étude et de la transmission, que c’est la préparation spécifique du concours, l’étude de son programme et l’entraînement à ses exercices, qui les amenaient à se dépasser eux-mêmes. Et là encore réduire, comme le font les syndicats et certaines associations, le problème du recrutement à sa dimension matérielle, dont nous ne saurions par ailleurs nier l’importance, fait la démonstration de leur mauvaise foi, disons même de leur vilenie. Cela, nous l’avons exposé, Arnaud Fabre aux représentants de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, le 7 mai dernier, moi, le 25, à ceux des sociétés savantes et des associations de spécialistes, et dont le Bureau n’a donc pu signer le communiqué, ainsi qu’au micro de France-Info.

Tout se passe comme si certains, pour préserver leur clientèle ou par défaut de sagacité, se gardaient de poser les problèmes correctement Nous y sommes habitués, nous qui, parmi les défenseurs des langues anciennes, sommes les seuls à formuler une analyse d’ensemble et des propositions systémiques centrées sur l’année de seconde, celle où les latinistes s’évaporent et les hellénistes disparaissent. Et sans doute notre clairvoyance doit-elle beaucoup à notre conviction ; toutes deux animent notre pugnacité. On l’aura compris à mon exposé, ces derniers mois ont vu notre association, après quelques temps difficultueux, se remettre en ordre de bataille. Outre les textes produits et nos interventions dans les médias, notre site, qui a fait peau neuve, accueille dans une structure clair et un agréable agréable, un contenu substantiel et qui n’a déjà cessé depuis janvier de s’enrichir de nouvelles pages (la dernière en date étant la page « médias ») et d’études ou d’ouvrages tirés de notre vaste fonds. Notre lettre électronique a trouvé sa périodicité et sa formule, avec notamment ses rubriques devenues familières : la chronique de Guy Talon, la chronique du faussaire, tenue par François Bourdil, et celle d’Alain Vauchelles, « De la salle au salon ». Nous avons repris en main un secrétariat quelque peu malmené, relancé la dynamique des adhésions et nous apprêtons à pourvoir au Bureau deux postes essentiels qui ne l’étaient plus, celui du lycée et celui de la francophonie.

Vous voyez, chers collègues, que notre association est prête à embrasser l’avenir, fière dépositaire de presque cent vingt ans d’histoire et digne de nos illustres prédécesseurs. C’est à eux que je voudrais pour finir rendre hommage, à ceux notamment qui nous ont quittés ces toutes dernières années : à Michel Serceau, à Georgette Wachtel et à Evelyn Girard, dont l’esprit et l’exemple ne cesseront de nous accompagner et de nous inspirer.