À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons rien des suites qui seront, ou non, données aux annonces d’un ministre qui n’aura fait que passer, et qui sans doute ne l’ignorait pas quand il les faisait, au moment de sa conférence de presse du 5 décembre dernier sur le « choc des savoirs » . C’est cependant desdites annonces, d’ailleurs fort floues, qu’il nous faut dire un mot ici – où l’on verra d’ailleurs que leur avenir sera de toute manière sans incidence sur celui de l’école.
La répétition du mot « savoirs » pourrait tromper ceux qui ne sont pas au fait des débats qui traversent le monde de l’enseignement ni de ce que recouvrent précisément les termes qu’on y emploie. Employé au pluriel, il permet, tout en réjouissant à bon compte l’héritier naïf de l’humanisme et des Lumières, d’éviter de trancher entre connaissances et compétences. Certes ces dernières seront, dans la part de contrôle continu du Brevet, remplacées par les « notes disciplinaires », mais si celles-ci continuent, comme les programmes, les IPR et Pronote y engagent ceux qui les attribuent, à évaluer des compétences, ce changement sera purement cosmétique. Et selon toute vraisemblance il le sera, puisque l’ex-ministre a bien parlé de « compétences disciplinaires et psychosociales » et de simples « repères de culture générale », affirmant en cela, ainsi qu’explicitement, sa fidélité au « socle commun », dont on sait qu’il a précisément scellé la primauté des compétences sur les connaissances. Quoi d’étonnant d’ailleurs, puisque c’est là la philosophie officielle de l’UE (comme de l’OCDE et des rapports PISA), et que l’un des groupes de travail de la mission sur « l’exigence des savoirs » (dénomination qui, soit dit en passant, nous est à ce jour demeurée occulte) nous a bien rappelé qu’il importait que ses préconisations fussent « euro-compatibles »…
Ce qui signe également la philosophie du « socle commun » – et rend caduques les belles paroles sur l’autorité du professeur ou la souveraineté du conseil de classe – c’est que l’ex-ministre ait parlé d’« objectifs », terme qui, en se substituant aux connaissances à acquérir, a soumis le système éducatif à une logique de rendement et à une évaluation par les résultats (assurée dans certaines académies par des cabinets de conseil). Là encore nous n’avons pu que sourire en entendant le même groupe de travail nous expliquer qu’il fallait, en fin de troisième, « rendre compte aux parents » des résultats de l’élève au regard des objectifs fixés par le socle, objectifs qu’il n’est pas concevable par définition qu’ils ne soient pas remplis et d’autant moins que l’élève serait, quoi qu’il en soit, « reversé » en seconde. C’est à cette lumière crue qu’il convient d’apprécier les différents dispositifs annoncés : classe de mise à niveau, à tout le moins tardive, avant l’entrée au lycée, stages pendant les vacances (qui ne sont donc pas chose nécessaire aux élèves, non plus qu’aux professeurs), groupes de niveau… Aussi ne manquera-t-on pas de décerner le prix de l’audace sophistique à l’obligation d’avoir obtenu le Brevet pour entrer en Seconde – autrement dit à l’exigence que l’eneignement en seconde s’abaisse au niveau du Brevet.
Comme on le voit, les élèves devront, quoi qu’il en coûte à la qualité de l’enseignement qui leur sera dispensé, passer de classe en classe jusqu’au baccalauréat, puisque toujours on prend soin d’éviter la question de l’orientation et du collège unique. On continuera de nier la diversité des talents et des inclinations au nom des objectifs à atteindre et de camoufler la nullité du niveau derrière les objectifs atteints. Comment s’étonner dès lors que le ministère n’exprime aucune velléité de restaurer un Capes qui atteste de l’excellence disciplinaire de ses lauréats ? Ils risqueraient d’enseigner au lieu de prêcher. Car tandis que les enfants de la Caste feront ripaille à l’École alsacienne, les gueux devront se contenter du brouet du public, où l’essentiel sera d’apprendre à trier leurs déchets et à communier dans l’indigence décarbonnée.