Motion sur le projet de nouveaux programmes de français pour le Collège

Le Bureau de l’APLettres réprouve intégralement le projet de nouveaux programmes de français de collège élaboré par le Conseil Supérieur des Programmes et soumis à une consultation qui, en raison des délais et des procédures, a toutes chances d’être purement formelle comme les consultations précédentes.

Il constate que les orientations de ces programmes sont en rupture complète avec les programmes de 2008 actuellement en vigueur, que l’APLettres avait approuvés, et qu’ils renouent, en les aggravant, avec les orientations délétères des programmes antérieurs. Ainsi, par une régression significative, voit-on réapparaître la « séquence d’enseignement », fourre-tout disparate où, sous prétexte de diversité, toutes les activités sont atomisées, ce qui est le meilleur moyen de perdre les élèves les moins doués et revient à dire qu’on renonce à leur proposer un apprentissage méthodique, concentré de façon suivie sur un objet. Dans cet émiettement, une conséquence essentielle est que l’étude systématique de la langue disparaît, alors que la maîtrise de la langue est la condition indispensable à la réussite scolaire et que les lacunes des élèves, suite à la proscription officielle de l’enseignement de la grammaire ces dernières décennies, sont reconnues de tous.

Le Bureau de l’APLettres constate également que ces projets de nouveaux programmes sont étroitement déterminés par la structure du « Socle commun de connaissances et de compétences » qu’elle a condamné il y a quelques mois, en accord avec un grand nombre d’association de professeurs spécialistes. De même, elle condamne les conséquences qui en découlent dans ces programmes : une large évacuation des contenus au profit de simples savoirs faire ou, pire, de « savoirs être », parfois proches de l’endoctrinement et du formatage de l’individu et qui transparaissent dans les thèmes bien-pensants organisant le choix et l’étude des textes à partir de la 5e (« Vivre en société, participer à la société », « La ville, lieu de tous les possibles ? » etc.). C’est ainsi que pour la 6e, désormais rattachée au Cours moyen à l’intérieur du cycle 3, elle dénonce la disparition à peu près complète de toute référence à des œuvres, textes ou courants littéraires, tandis que pour les autres classes seuls des genres sont indiqués de façon vague, sans le moindre exemple de titre d’œuvres ou de noms d’auteurs. Un tel laisser faire, habillé d’un verbiage jargonneux, mais cohérent avec les orientations politique du projet de réforme du collège, ne pourra que favoriser les disparités et les inégalités dans l’enseignement du français entre les établissements et les classes au sein d’un même établissement.

L’APLettres réprouve tout particulièrement le principe de classement en thèmes (« Le voyage et l’aventure », « Dire l’amour », « Se raconter, se représenter ») qui est censé commander le choix des textes et des œuvres. Ce classement artificiel, proche de celui qui était en usage dans les années 1970 pour les filières qu’on estimait incapables de curiosité littéraire, n’est aucunement de nature à faire des élèves de véritables lecteurs, puisqu’il enserre les œuvres dans une perspective prédéterminée et limitée, alors que les élèves pourraient réagir devant elles sous les points de vue les plus divers. L’APLettres rappelle que ce qui fait l’intérêt des grandes œuvres est précisément le fait qu’elles sont susceptibles d’approches diverses. Elle considère, conformément à une tradition humaniste séculaire, que le choix des œuvres et textes étudiés dans chaque niveau de classe doit être déterminé à la fois par leur richesse humaine, leur accessibilité aux élèves, le souci de préserver une certaine diversité et, tout au moins dans les niveaux supérieurs, par leur succession chronologique.

Dans le choix de ces approches préconçues, l’APLettres dénonce également une intrusion prématurée de l’abstraction et de la réflexivité (« Caractéristiques et spécificités des genres littéraires » en cycle 3, « Se chercher, se construire » pour le cycle 4) largement inaccessible aux élèves dans les niveaux concernés et aux antipodes du plaisir de la découverte des œuvres même. C’est là tout le contraire d’une pédagogie qui viserait à assurer pour des esprits en formation l’accès progressif à l’abstraction. C’est à la fois le plus sûr moyen de dégoûter la plupart des élèves du français et de la lecture, d’assurer l’échec de ceux qui sont les moins doués ou les moins aidés par leur milieu et de produire chez tous soit l’angoisse soit le découragement en affichant des ambitions démesurées qui de toute façon pourront rarement être atteintes.

Le Bureau de l’APLettres dénonce donc un projet de programme réactionnaire, qui à de multiples égards organise l’échec scolaire, le formatage des esprits et l’aggravation des inégalités sociales.