Enseignant, en seigneur, en saigneur

Pour Jean- François Dobelle, Ambassadeur de France à Maurice, à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie

Rien de plus aisé, de plus banal, de plus familier que le rôle de l’enseignant, en apparence du moins, mais l’apparence vous réserve de ces tours dont vous commencez tout juste à vous demander si vous arriverez à en faire le tour,avec ou sans détours et ce, non seulement parce que, comme chacun le sait depuis Hegel au moins, le bien connu, parce que bien connu, est méconnu, ce qui, somme toute et tout compte fait, ne risquerait de jeter dans la moindre perplexité,étant donné que cela aussi relève du désormais banal et vulgaire, mais aussi, et surtout, parce qu’il est permis de douter de la fonction, je n’oserai dire : de l’efficacité, non moins que de l’existence même de l’enseignant, d’où une proposition, voire une constation, dans l’attente d’autres propositions et constatations que l’on devinera aisément infiniment plus troublantes et dévastatrices : il n’y a pas d’enseignant, et il ne s’agit guère, comme certains débiles mentaux s’enhardiraient à l’imaginer, de quelque défaillance structurelle,ou conjoncturelle, qui constituerait la marque distinctive de tel ou tel pays, de tel ou tel régime, qui serait due à l’arriératiion mentale d’un ministre,ou encore qui serait la conséquence logique d’une politique gangrenée par l’incompétence et ruinée par la corruption, car, au fond, il y va de la structure elle-même, insituable en ceci qu’elle se dérobe sans cesse, aussi impossible que réelle, de la relation, qui n’en est pas une, enseignante, structure qui rappelle, hors le rapport, qu’au demeurant il importe de creuser, de l’enseignement à la parole brute et de pure commodité, vu que l’on peut, devrait même questionner cette dichotomie qui, quoi qu’elle vaille, et elle vaut bien quelque chose, permettrait de localiser ici une parole dite brute et là une autre essentielle reconnue, que si enseigner est inévitable, si enseigner est la chose du monde la mieux partagée sans que l’acte se confonde avec le bon sens,ni avec la Raison, ni même avec le sens commun, il n’en demeure pas moins, peut-être justement en raison de cette non-confusion (génératrice de bien des confusions ?), problématique, aporétique, eu égard, entre autres et pour simplifier, au fait que ce qui s’apprend, ce qui est digne d’être appris, ne saurait être enseigné, pour notre plus profond malheur,mais aussi pour notre plus intense bonheur, pour la torture et le plaisir qui seuls, peut-être, et encore ! justifient, justifieraient cette habitude dont arrive difficilement à se déprendre, celle de vivre, torture et plaisir promis, rendus possibles par l’impossible, l’unique objet, mais ce n’en est pas un, digne de notre passion, parce qu’impossible, toujours à venir donc, incitant constamment à cultiver l’espoir d’une possible réalisation qu’il sans cesse déréalise pour toujours reculer l’instant qui l’achèverait en tant qu’impossible, parce que nouant en une relation indéfinissable non moins qu’indestructible l’optimisme et son envers serein, pour faire de nous les acteurs éternels d’une répétition infinie et éclairer la figure invisible de l’enseignant, qui n’en finit en seigneur d’en saigner, saigneur volontaire de son propre être jusqu’à ce que exsangue il soit, dans la fulgurance d’une démesure qui l’éblouit,l’illumine en même temps qu’elle l’éblouit.