Bonheur d’école de Marc Le Bris, note de lecture

Marc Le Bris, Bonheur d’’école, Collection « Coup de gueule », Jean-Claude Gawsevitch éditeur, 2009.

Bonheur d’’école fait écho au Chagrin d’’école de Pennac. À travers une série de tableaux (« Rentrée », « Note », « Écriture », « Caprices », « Observation », « Dictée », « Rédaction », « Cercle », « Récitation », « Grammaire », etc.), Marc Le Bris décrit la pédagogie quotidienne de l’’école dont il est directeur, pédagogie dont les principes sont bien connus : assurer l’’instruction des élèves en les conduisant progressivement vers des connaissances claires, précises et organisées. Car pour lui, l’’opposition souvent affirmée entre éducation et instruction ne tient pas : « L’’instruction éduque. L’’éducation n’’instruit pas. » (P. 255.)

Au fil de ces chapitres, où le récit anecdotique, simple et parlant, volontiers pittoresque et même comique, alterne avec l’’analyse au ton parfois acerbe, mais toujours alliée au désir de comprendre la position adverse et d’’en déceler exactement les failles, le lecteur voit défiler des types d’’élèves divers (le « patachon » maladroit, la petite fille évaporée, le petit garçon doué), des types d’’enseignants (la maîtresse de grande section de maternelle, chez qui toutes les paroles sont pesées pour mener les enfants vers l’’expression précise et juste, mais aussi le jeune professeur des écoles formé aux techniques de l’’IUFM et qui prépare en pure perte une semaine de pseudo-expérimentation) et des situations d’’enseignement diverses. On voit également paraître des parents, qui reconnaissent l’’efficacité de la pédagogie mise en œuvre dans cette école, malgré le mal qui s’’en dit ailleurs.

Chemin faisant, Marc Le Bris formule nettement les critiques de fond qui l’’opposent aux méthodes dites modernes. L’’enfant livré à lui-même, sommé de construire son propre savoir, se trouve face à des problèmes insolubles, souvent démoralisants, ce qui lèse encore plus ceux dont le milieu n’’est pas porteur. Inversement, un enseignement qui dispense des connaissances en faisant progresser pas à pas favorise l’’équilibre et la maturation des personnalités. Il s’’agit en effet de sortir l’’enfant de la représentation simpliste du monde qui est spontanément la sienne, représentation binaire (« le papa et la maman, le jour et la nuit,… le bien et le mal, les riches et les pauvres », p. 35), pour l’’amener à porter des jugements nuancés, sans quoi l’’adolescent et même l’’adulte resteront des enfants réceptifs à tous les fanatismes : pour ce faire la démonstration mathématique et la dissertation constituent des instruments irremplaçables.

Autre critique contre ces méthodes qui se veulent « naturelles » : attendre que l’’enfant ait franchi le « stade » voulu, ce qui conduit à retarder sans cesse les apprentissages. Au contraire, il s’’agit pour Marc Le Bris d’’aider l’’enfant à franchir le stade, de le pousser, de combattre ses travers et ses maladresses.

Enfin est dénoncée à plusieurs reprises l’’erreur qui sous-tend les pédagogies nouvelles : les théoriciens confondent les « enfants petits » avec des adolescents. Ils leurs prêtent une acuité critique, un refus des contraintes, voire une capacité de réflexion et d’’abstraction, que seuls des adolescents peuvent avoir. Les enfants, au contraire, aiment bien faire comme on leur dit, aiment être classés. On pourrait ajouter qu’’un des but de l’’école est de leur apprendre à dépasser cette attitude, mais qu’’en même temps on ne peut pas en nier la réalité.

On pourrait aussi ajouter une critique que Marc Le Bris ne formule pas mais qui ressort de son livre : les pédagogies constructivistes traitent d’’abord l’’enfant comme un esprit, oublient qu’il est aussi un corps (n’est-ce pas parce qu’’elles résultent d’’une convergence, opposée aux Lumières, entre un idéalisme libertaire se réclamant de Rousseau et l’’esprit « catho de gauche », comme le soulignent les pp. 325-330 ?) et que les apprentissages passent « par le corps, par le bras, la main, les doigts » (p. 81). Ainsi l’’apprentissage de la lecture commence-t-il par l’écriture, avec un entraînement au graphisme des lettres dès la maternelle.

Car, contrairement à ce que pensent ses détracteurs, les méthodes utilisées par Marc Le Bris accordent une grande place à l’’activité : les enfants parlent, dialoguent, font. Le chapitre « Cercle » montre la classe entière arrivant progressivement à la formule qui permet de calculer la surface d’’un cercle, sachant que la seule surface que l’’on sait calculer est la surface du rectangle. De même, Marc Le Bris n’est pas hostile aux sorties scolaires. Le chapitre « Opéra » montre le profit qu’’il tire d’’un voyage à Paris pour aller voir une opérette d’’Offenbach. Mais le temps est trop cher pour les multiplier.

En définitive, ce sont les résultats qui décident. Marc Le Bris ne s’’attache pas à des méthodes réputées rétrogrades par nostalgie du passé : il reconnaît avoir commencé sa carrière en appliquant les préceptes du laisser-faire ; il a reconnu leur échec mais ne s’’est intéressé aux méthodes antérieurement utilisées et ne les a adoptées que moyennant une vérification critique et certaines améliorations.

On pourrait objecter que les méthodes pédagogiques qu’’il décrit peuvent valoir dans l’’école d’’une petite commune rurale, mais non dans des écoles urbaines où sévissent les problèmes sociaux que l’’on connaît. Pourtant, la distinction entre les deux n’’est pas si radicale. L’’école de Médréac reçoit aussi des enfants primo-arrivants. Elle reçoit également des enfants musulmans. La nécessité de la neutralité laïque y est donc tout aussi forte qu’’ailleurs, et Marc Le Bris montre comment, à force de vouloir faire parler les enfants sans intervenir, l’’enseignant peut ouvrir la porte à l’’expression des communautarismes et du racisme. De même, l’’école de Médréac a fourni une réponse au poids de la société marchande et à la dictature des marques qui a envahi le système scolaire : toutes les fournitures de l’a’nnée sont gratuites et par conséquent les mêmes pour tous. Le livre de Marc le Bris ne présente donc pas une école atypique. En même temps, loin de tout dogmatisme même si le ton peut être vif, il n’’entend pas fixer un modèle à reproduire. Il présente des pistes claires et cohérentes, qui sont à méditer.

Jean-Noël Laurenti