« Souverain, du latin populaire *superanus, “qui est au-dessus de” :: se dit d’un pouvoir qui n’est limité par aucun autre » (Larousse). Les jurys d’examen sont souverains et de cette souveraineté dépend la sincérité de l’évaluation. Sans quoi c’est de rendement qu’il s’agit, de l’avancement d’un inspecteur, de la carrière d’un recteur, ou de la justification d’un ministre, de la satisfaction à bon compte d’un électorat du reste évanoui.
Les professeurs de lettres, comme ceux de philosophie et d’histoire-géographie, sont l’honneur du baccalauréat, et c’est pour cette raison qu’on les traque. Faute de pouvoir les corseter par d’étroits barèmes, on leur reproche leur exigence – ce qui est en soi le signe d’une grave pathologie de l’esprit, et de l’administration. Être exigent, c’est croire en nos élèves et c’est vouloir le meilleur pour notre pays. Mais songe-t-on à ces choses-là ?
En dépit des altérations imprimées au baccalauréat (dont Vincent Peillon a déclaré qu’il n’était pas « gravé dans le marbre », nous devons nous battre pour le défendre, pour le défendre en tant qu’examen national donc terminal. Il est la clef de voûte d’un enseignement public qui sans lui achèverait de se disloquer et de s’effondrer. Son existence garantit que les mêmes programmes sont dans leur entier enseignés sur tout le territoire de la République, puisque c’est aux mêmes épreuves que tous les professeurs de première et de terminale préparent leurs élèves. On connaît l’objection selon laquelle les filières sélectives de l’enseignement supérieur recrutent leurs étudiants sur dossier, avant même qu’ils n’aient subi les épreuves du baccalauréat. Mais si elles peuvent le faire, sans se restreindre à quelques établissements surcôtés, c’est précisément parce que tous les lycées mesurent leur enseignement au même étalon. Il en irait bien évidemment tout autrement si par la grâce du contrôle continu le bac se métamorphosait en un diplôme local ou d’établissement, fluctuant au gré des pratiques pédagogiques, des a-priori idéologiques, des préjugés sociaux, ethniques et géographiques. Les professeurs des lycées professionnels savent quelle dévaluation le passage au contrôle continu a entraîné pour le baccalauréat professionnel.
Il est également le dernier verrou d’un enseignement disciplinaire, appuyé sur la transmission du savoir. Seul le contrôle continu convient à l’éducation par compétences et au dressage comportemental. Par nature, un examen national et dont l’évaluation est anonyme ne peut être tout à fait ajusté aux formatages personnalisés. Il implique des épreuves bien définies et relativement pérennes, des critères d’évaluation un tantinet tangibles qui ne peuvent être que des connaissances, fussent-elles ténues et purement pratiques. Il n’est pas anodin que l’une des marottes des contempteurs du bac, qui sont aussi les thuriféraires du pédagogisme, soit l’accusation de bachotage. Comme s’il était scandaleux qu’une fois dans sa vie un élève apprît ses cours. Ils lui reprochent aussi, comme aux professeurs, de ne pas s’adapter aux individualités – que ne promeuvent-ils un permis de conduire pour aveugles…
L’offensive contre l’instruction est telle aujourd’hui que c’est l’école tout entière qui tient au bac, qui tient par le bac. Offensive sur tous les fronts d’ailleurs : le pendant d’un CAPES et de masters infestés de didactique doctrinaire et de sciences de l’éducation moralisatrices, c’est un baccalauréat en contrôle continu conçu sur le modèle du livret de compétences. Entre les deux, le ministère ouvrira à l’automne des discussions sur les missions et les statuts des professeurs, en application d’une loi d’orientation qui, rappelons-le en passant, prévoit entre autres la primarisation du collège et mettra nécessairement en cause notre qualité de professeurs spécialistes et monovalents. L’APL répondra présent, fidèle, non seulement aux élèves que ses adhérents veulent continuer d’instruire, mais aussi aux siècles et aux œuvres dont elle est, avec quelques autres, l’humaniste dépositaire.