Le retour du bon sens : les programmes d’’enseignement du français d’août 2008 en matière de grammaire

Les « nouveaux » programmes de français au collège de 2008 viennent remplacer ceux de 1996 qui, en matière d’’enseignement du français, avaient imposé la « séquence » comme unique moyen de bâtir un cours de français. L’’APL et de nombreuses autres associations, ainsi que quelques collègues lucides et bien en place sur le terrain, avaient en leur temps dénoncé la séquence dont la principale fonction fut de supprimer tout enseignement systématique et construit de la grammaire. C’est donc avec un grand soulagement mais aussi avec un certain étonnement que nous voyons réapparaître dans les programmes de 2008, « destinés à satisfaire les exigences du socle commun », la « leçon de grammaire » :

La leçon de grammaire est fondamentale : elle permet d’’acquérir une conscience des faits de langue indispensable aux élèves pour qu’’ils puissent s’’exprimer de manière appropriée dans la suite de leur vie sociale mais aussi comprendre et goûter les textes qui constituent les piliers de la culture commune.

Voici enfin réhabilité ce qui fut de tout temps au cœur de l’’enseignement grammatical, sauf pendant la mandature des calamiteux programmes Viala-Weinland de 1996, la « leçon de grammaire ». Espérons qu’elle pourra être appliquée car de nombreux inspecteurs pédagogiques régionaux font remarquer que le mot « décloisonnement » figure encore dans le préambule de ces nouveaux programmes :

L’’organisation des programmes de français vise à la fois à satisfaire les exigences du socle, à établir des correspondances avec d’autres disciplines et à articuler les différents domaines de l’’enseignement du français que sont l’’étude de la langue, la lecture, l’’expression écrite et orale. Cette articulation ou décloisonnement permet aux élèves de percevoir clairement ce qui relie la diversité des exercices qu’’ils réalisent.

Or, si nous lisons bien le texte, il nous apparaît que le mot « décloisonnement » signifie simplement « articulation » entre les différents domaines de l’’enseignement du français et non pas « désarticulation » de l’’enseignement du français comme ce fut le cas avec la séquence. Il faut donc veiller à ce que le retour de la « leçon de grammaire » puisse s’’effectuer dans les meilleures conditions et pour cela il faut exiger l’’aval complet et sans arrière-pensées des inspecteurs pédagogiques régionaux.

Les nouveaux textes sont d’ailleurs très explicites en la matière :

Les termes grammaticaux (sujet, verbe, complément, proposition principale, pronom relatif…) constituent en outre des repères communs dans la conscience de la langue. Ils doivent être soigneusement expliqués pour être systématiquement acquis. Les connaissances grammaticales apprises en français servent aussi à l’apprentissage des autres langues.

Les séances consacrées à l’étude de la langue sont conduites selon une progression méthodique et peuvent n’être pas étroitement articulées avec les autres composantes de l’enseignement du français.

L’’élève doit connaître le sens exact des termes grammaticaux devenus de nouveau compréhensibles et tournés vers l’’analyse grammaticale et l’’analyse logique défuntes depuis longtemps (sujet, verbe, complément, proposition principale), leur enseignement doit être « systématique » et la progression « méthodique ». Tout cela va à l’’encontre de la séquence prônée en 1996, séquence qui introduisait à la fois désordre, absence de méthode et absence de progression puisque les notions de grammaire n’’étaient étudiées qu’’en sous-main : en effet, on ne devait plus « faire de grammaire pour elle-même », la grammaire ne devait même plus dire son nom, c’est pourquoi elle avait été baptisée du nom d’’« outils de la langue », ce qui évoquait plus le rayon quincaillerie ou visserie d’une grande surface de bricolage que la base fondamentale de toute langue.

Si nous poursuivons notre lecture des programmes de 2008, nous découvrons aussi que la progression est soigneusement établie d’’année en année :

Le programme de grammaire répartit les objets d’étude par année, pour harmoniser les apprentissages entre les classes et éviter les répétitions pour les élèves. La progression est ainsi soigneusement ménagée. Cependant, certaines notions peuvent être abordées à différents niveaux selon leur degré de complexité. Cela n’’exclut pas les révisions jugées nécessaires par le professeur selon les besoins identifiés chez ses élèves.

D’’autre part, les contenus ont quelque peu évolué puisqu’’on parle à nouveau de « grammaire de la phrase » : « Au collège, le programme privilégie l’’apprentissage de la grammaire de la phrase. » Les programmes de 1996 privilégiaient eux, la « grammaire de texte » et la « grammaire de l’’énonciation » qui étaient premières, alors que désormais, ces deux types de grammaire ne sont étudiées qu’’après la « grammaire de la phrase » et seulement à partir de la classe de quatrième c’’est-à-dire quand « la grammaire de la phrase » est acquise, ce qui semble logique :

Quelques-uns des apports majeurs de la linguistique sont introduits à partir de la classe de Quatrième dans la mesure où ils sont exprimables en termes simples et clairs et où ils désignent des faits de langue dont la compréhension est primordiale (la cohérence textuelle et l’énonciation).

Au terme de cette lecture, nous constatons donc que ces nouveaux programmes, s’’ils sont appliqués bien évidemment, effectuent un retour vers le bon sens qui avait complètement déserté les programmes de 1996 : on va enfin construire la maison en commençant par les fondations et non par le toit, on va enfin , au collège, refaire de l’’analyse grammaticale et de l’’analyse logique, seules garantes d’un apprentissage raisonné et raisonnable de la langue, outil essentiel pour l’’émancipation des élèves. Quelle « révolution copernicienne » comme dirait certain Inspecteur général qui qualifiait ainsi les programmes de 1996 !

Notre devoir à tous, avant de nous enflammer, est cependant de veiller à leur juste application et de signaler tout manquement de l’institution à cet égard.

Mireille Grange, professeur en Collège (ZEP) à Lille