Une rentrée ubuesque

C’est à une rentrée à certains égards ubuesque que nous venons d’assister. Alors que la réforme du lycée et sa subordination à Parcours’Sup l’ont définitivement livré au consumérisme, que s’effondre le niveau moyen des lauréats du Capes et que des vacataires sont recrutés à la va-vite et comme au bord du zinc, alors que les difficultés s’enkystent à exercer notre mission, la parole officielle l’ignore et retentit de slogans, de credo, de mots d’ordre. Ainsi, quand une délégation de la Conférence des associations de professeurs spécialistes expose, le 30 août dernier, au Directeur de l’enseignement scolaire, Jean-Marc Huard, le bilan calamiteux de la réforme du baccalauréat, que nos associations sont bien placées pour connaître et qu’elles avaient d’ailleurs prédit, elle ne reçoit pour toute réponse qu’une dénégation générale et surréaliste. On ne manquera pas de lire le compte rendu de cette rencontre, le communiqué qui l’a suivie, ainsi que la pétition soutenue par les associations membres de la Conférence.

En ce qui concerne proprement le champ disciplinaire de notre association, nous nous sommes, Arnaud Fabre et moi-même, entretenus, le 13 octobre dernier, avec Thomas Leroux, conseiller aux affaires pédagogiques et aux savoirs fondamentaux au cabinet du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse ; le 19 octobre, avec Jean-Christophe Peton, nous étions reçus par Marc Bartoli, conseiller « découverte et promotion des métiers, décrochage scolaire et accompagnement des élèves vers l’emploi » au cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. Nous ne rapporterons pas ici des propos qui, dans un contexte où les orientations ne sont pas données, n’avaient rien d’officiel ; nous soulignerons cependant que ces échanges furent francs et cordiaux, et que nos interlocuteurs successifs ont témoigné à nos analyses comme à nos propositions un intérêt concret, ainsi d’ailleurs qu’aux articles de nos Études franco-anciennes – dont la suppression d’une subvention pourtant frugale, injustifiéeau reggard de sa qualité scientifique, a condamné la livraison à une suspension sine die

Nous avons pour notre part rappelé la nécessité d’assurer son horaire aux langues anciennes au collège et réitéré notre demande que soit modifié l’arrêté du 16 juin 2017, où la mention « dans la limite de trois heures » plafonne l’horaire au lieu de le fixer, et que soit fléchées, dans la DHG, les heures qui lui reviennent, au lieu qu’elles soient livrées au caprices des chefs d’établissement ou à la curée des conseils d’administration. Nous nous sommes par ailleurs félicités, avec quelques réserves pédagogiques que nous avons exposées ailleurs, de l’instauration en sixième d’un enseignement de « Français et culture antique », idée défendue de longue date par notre association et dont nous demandons l’extension à toutes les élèves ; nous avons défendu l’idée d’un enseignement purement et simplement annexé au cours de français, mais toujours assuré par un spécialiste, par un professeur de lettres classiques. Au lycée, nous sommes revenus sur le statut et les programmes des langues anciennes au lycée et sur nos propositions à cet égard et souligné que leur situation était, par leur nature même, emblématique de celle du lycée, victime d’une spécialisation prématurée au dépens de la formation générale de la personne et su citoyen.

À propos du collège, nous avons à nouveau dénoncé le dogmatisme pédagogique imposé aux professeurs, tout notamment aux jeunes professeurs, par une bonne part de leur hiérarchie et du personnel des INSPÉ : nombreux sont en effet les inspecteurs et les formateurs qui s’obstinent, en contrevenant au principe de liberté pédagogique, à imposer le modèle, au reste si contestable qu’on l’eût pu croire défunt, de la séquence didactique, proscrivant le principe de leçons spécifiques et régulières de grammaire et d’orthographe.

Ce hiatus, qui n’est pas sans évoquer les médecins de Molière, entre des contenus toujours plus flous et des prescriptions méthodologiques toujours aussi strictes se retrouve dans ce que sont devenus le Capes et le Caplp ; nous avons à cet égard souligné l’ineptie épistémologique du format unique et la nécessité d’ajuster chaque section à la discipline éprouvée, dans toute la diversité de ses exercices. Les concours doivent éprouver la maîtrise disciplinaire, qui confère au professeur son autorité et son assurance, qui conditionne son ingéniosité didactique et sans laquelle tout simplement l’instruction du citoyen est soumise à l’erreur, à l’approximation, à la doxa. La pédagogie est un art qui s’apprend pas sur le terrain auprès des aînés ; la faire passer pour une science ne peut qu’être délétère.

Nous avons expliqué enfin l’inquiétude que nous nourrissions à l’égard d’une énième réforme du LP, quatre ans seulement après la « Transformation de la Voie Professionnelle » (TVP) dont la difficile mise en place n’est pas terminée et qui a encore réduit le temps de formation des élèves après la réforme du BAC PRO 3 ans en 2009 (25% de temps de formation en moins) et la TVP en 2018 (10% de temps de formation en moins). Ainsi, l’enseignement des lettres et de l’HGEMC, dont on pouvait penser qu’ils avaient atteint leur plus bas étiage avec la TVP de 2018 (3 heures hebdomadaires en BAC PRO, 2 heures par semaine en CAP), se réduiraient encore avec l’augmentation de 50% des « Périodes de Formation en Milieu Professionnel », tandis que des heures continuent d’être gaspillées dans des projets et dans la co-intervention. Comment conjuguer la réduction du temps de formation en LP et la volonté exprimée simultanément par le chef de l’État d’y renforcer l’enseignement du français et des mathématiques ?

L’APLettres, comme on voit, ne se résoudra pas à acter la dissolution de l’école qui instruit au profit de celle qui dresse. Avec ses partenaires, elle continuera, avec intelligence et pugnacité, à défendre le savoir et la pensée, donc la démocratie et la liberté.