Du nouveau cléricalisme scolaire

L’éditorial au format pdf

« Ah ! nous vous connaissons ! nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de services. C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. C’est lui qui a trouvé pour la vérité ces deux étais merveilleux, l’ignorance et l’erreur. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au-delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. (…) Il n’y a pas un poète, pas un écrivain, pas un philosophe, pas un penseur que vous acceptiez ! Et tout ce qui a été écrit, trouvé, rêvé, déduit, illuminé, imaginé, inventé par les génies, le trésor de la civilisation, l’héritage séculaire des générations, le patrimoine commun des intelligences, vous le rejetez ! Si le cerveau de l’humanité était là devant vos yeux à votre discrétion, ouvert comme la page d’un livre, vous y feriez des ratures ! »

Victor Hugo, Discours contre la loi Falloux, 14 janvier 1850

Toute la difficulté de l’école publique dans un État démocratique est de garantir aux futurs citoyens un enseignement qui précisément les prépare à l’exercice de la souveraineté, qui éclaire leur jugement et fonde leur autonomie. En somme, l’État est mandé par la République d’organiser un enseignement qui résiste à son influence, du moins aux intentions de ceux qui seront appelés à le gouverner. Aussi ne serait-il pas concevable, dans une démocratie, que le cours d’un professeur fût écrit rue de Grenelle, non plus que l’arrêt d’un magistrat place Vendôme ou la prescription d’un médecin par le ministère de la santé… De fait, le professeur est à rapprocher du magistrat, qui statue souverainement, non du policier, qui exécute les ordres.

Les professeurs, parce qu’ils dominent leur matière, sont à même de nourrir et construire un cours sur tel sujet inscrit au programme et qui relève de leur discipline. Ils sont les dépositaires du savoir et les gardiens de la méthode ; quelle que soit leur discipline, ils savent celui-là infiniment mouvant et que la démarche scientifique ressortit au doute méthodique de Descartes, à l’esprit d’examen des Lumières et à la méthode expérimentale de Claude Bernard. Au fait de l’état des connaissances actuelles, ils préservent en chaque élève sa capacité à les interroger pour toujours tendre vers une vérité dont il faut en même temps se jamais garder de croire qu’on l’a trouvée. L’enseignement public ne saurait donc être libre que s’il est confié à des maîtres que leur savoir autorise. Aussi la solution républicaine fut-elle d’instituer des concours, qui sélectionnent, sur ces seuls critères du savoir et de la méthode, les plus autorisés parmi les candidats.

Qu’on prenne la peine d’y songer, car si tel n’était pas le cas, il reviendrait à l’État, à ceux plus précisément qui le gouvernent, d’écrire des cours qui pourraient bien n’être que des prêches pour des agents qui pourraient bien n’être que des chantres. C’est en effet du point de vue de l’enseignement voulu que se définissent la formation de l’enseignant et les critères de son recrutement. Si l’on veut éclairer, il y faut des savants ; si l’on forme des interprètes, c’est qu’ils auront un texte à réciter. Le savant émancipe, l’interprète endoctrine.

À cet égard, la réforme que préconise le CSP achève la mutation du paradigme enseignant initiée avec la loi Jospin, mutation fallacieusement présentée comme une « professionnalisation » de notre mission et qui n’est rien d’autre qu’une caporalisation par réduction à l’impuissance intellectuelle. Il n’y a pas lieu d’entrer dans le détail des divers scénarii qu’il lui a plu de tramer : tous, en tant qu’ils confirment et aggravent l’indigence scientifique des futurs enseignants, sont rédhibitoires et résonnent comme autant de préludes à la tyrannie.

L’APLettres, dépositaire des pensées de Montaigne et de Condorcet, saura dénoncer les nouveaux cléricaux et leur coup d’État contre l’intelligence.