Le Bureau de l’Association des Professeurs de Lettres a pris connaissance avec consternation de la réforme du Lycée professionnel, telle que l’a annoncée le Président de la République le 4 mai au lycée Palissy de Saintes, et de ses « douze mesures pour faire du Lycée professionnel un choix d’avenir pour les jeunes et les entreprises ».
Bien qu’aucun des acteurs de la formation professionnelle ne soit favorable à l’augmentation de 50% des périodes de stages en entreprises, le Président de la République s’obstine à vouloir l’imposer en Terminale Bac pro. Pour une réforme qui se prétend concertée, il semble donc que le fait du prince l’emporte sur l’écoute !
Pour organiser cette augmentation des périodes de stage en fin de Terminale Bac pro, il est question d’avancer les épreuves écrites du baccalauréat à mars au lieu de juin. Ainsi, ce qui ne fonctionne pas en Lycée général – la presse s’en est fait largement l’écho – on veut l’imposer au Lycée professionnel ! C’est ubuesque et réduirait le temps scolaire consacré à la préparation de l’épreuve de lettres du Bac pro à moins de 30 heures.
Qui oserait prétendre qu’on puisse préparer convenablement à l’épreuve du baccalauréat des élèves qui souvent ont beaucoup de difficultés en français en moins de 30 heures de cours ?
Après la Transformation de la Voie Professionnelle (TVP) de Jean-Michel Blanquer en 2018, qui avait déjà réduit le volume d’heures de cours dédié aux lettres en Bac pro, il est donc question de l’amputer encore, au détriment d’élèves qui ont souvent des difficultés dans ce domaine, ainsi qu’en convient lui-même le Président de la République.
Si on regarde l’histoire de la voie professionnelle depuis la création du CAP en 1919 par la loi Astier jusqu’à celle du Bac pro en 1985, elle procède de la volonté de l’État d’offrir aux élèves de LP une formation humaniste et une culture générale qui leur permettent de devenir non seulement des travailleurs qualifiés mais aussi des citoyens éclairés.
En réduisant le volume dévolu à l’enseignement de cette culture générale, les lettres au premier chef, la TVP de 2018 et la réforme de 2023 marchent à reculons. Il s’agit d’un retour délétère au XIXe siècle, lorsque les écoles professionnelles des entreprises se contentaient de former les jeunes aux gestes professionnels qui leur étaient utiles et au minimum de français, pour qu’ils comprennent ce qu’on attendait d’eux. Pas davantage.
La promotion de l’apprentissage et des écoles de production par le gouvernement s’inscrit d’ailleurs dans cette démarche régressive. C’est le LP qu’on assassine, au détriment des jeunes souvent d’extraction modeste que nous étions fiers de former, tant que cela restait encore possible, en leur apportant cette culture humaniste qui leur fait défaut.
Certes, cette réforme du Lycée professionnel amorcée dans la précipitation par le Président de la République s’inscrit dans un discours performatif où il n’est question que d’agir « pour le bien des élèves ». Mais l’Association des Professeurs de Lettres tient à faire savoir qu’elle n’est dupe ni des pieuses intentions affichées ni des sombres jours qui se préparent pour le LP, et elle adresse tout son soutien aux collègues PLP de Lettres.