Exploding Plastic Inevitable : c’est en 1966 qu’Andy Warhol, s’associant les musiciens du Velvet Underground et la chanteuse Nico, élabore un spectacle total mêlant musique, projections cinématographiques et performances scéniques. En tournée en Californie, l’expérience, pour intéressante qu’elle fût, tourna court : violents et lugubres, les EPI de Warhol effrayaient un public alors empreint d’esprit hippie.
Cinquante ans plus tard, les hiérarques de l’éducation nationale française, férus comme on sait de rock expérimental et de pop art, ont trouvé là l’inspiration de leur nouvelle réforme du collège, rêvant peut-être de métamorphoser chaque établissement en petite réplique de la Factory de Warhol. Certes, la dimension artistique est beaucoup moins marquée, mais chaque discipline est vouée à se fondre dans un ensemble innovant, d’où tout repère est soigneusement aboli, quoiqu’on l’ait préservé du vertige originel : trop violent, il risquait de brusquer les élèves. Pour cette même raison, après consultation de Mmes Touraine et Royal, on a préféré substituer au sado-masochisme démodé qu’avaient, inconsidérément il faut bien le reconnaître, mis en scène Warhol et le Velvet, l’hygiène corporelle, le développement durable et la gentillesse. Qu’on ne crie toutefois pas à l’asepsie ! Plus que la voix sépulcrale de Nico, celle, stridente et comminatoire, de Mme Vallaud-Belkacem constitue à elle seule un supplice-de-professeurs tout à fait spectaculaire. Au final, mis au goût d’une époque encline au bonheur solidaire, l’EPI nouveau apparaît aussi chaotique que son ancêtre, mais plus coloré : il est l’illustration prometteuse d’un nihilisme souriant. Quant au savoir, qu’il remplace : Peel slowly and see…
Ce dispositif répond-il à la détresse d’une jeunesse privée de repères ? D’aucuns eussent souhaité que la connaissance répondît à l’ignorance et la culture à l’errance. Ce n’était pas là une réponse démocratique. Le Socle commun n’est pas un piédestal ! Il est là pour éviter qu’au nom d’un savoir artificiellement élaboré on suscite entre les élèves ces différences de niveau qui inhibent leur créativité et aliènent leur identité. Chacun dans sa vérité, les élèves sont égaux, du moment qu’ils trient leurs déchets, tiennent la porte aux vieilles dames, et ne fument pas (surtout du tabac). Sur le Socle vacant, rien ne doit reposer.
Il fallait surtout éviter tout passéisme. On n’enseigne plus aujourd’hui comme il y a cinquante ans. Parce que les élèves ne sont pas les mêmes. Ils l’ont été pendant des siècles, et pendant des siècles on les a enseignés à peu près de la même manière, mais nous sommes entrés dans l’ère numérique, qui est celle d’un homme nouveau ; l’école l’accouche et il veut un enseignement résolument novateur : l’enseignement de soi par soi, résolument tourné vers le Vide.
En vérité il faut le dire : EPI est la voie du salut scolaire. Mais des maintes vertus de son improbable ancêtre, il en est un surtout qui fait tout son attrait : qu’il soit éphémère…
Romain Vignest