Remerciement à Yves Bonnefoy

À peine nous eut-il offert ses trois derniers livres, et L’Écharpe rouge, son dernier recueil, Yves Bonnefoy s’en est allé, abordant aux rives que, sa vie durant, son œuvre avait approchées, apprivoisées, tâtonnées – ad luminis oras. Ce n’est pas le lieu ici de célébrer le grand écrivain, à qui notre revue s’efforcera d’adresser plus tard l’hommage de quelque étude inspirée. Ce qu’il nous revient de rappeler ici, c’est que le Maître, qui jamais ne se plut à la poésie dite engagée, jamais cependant ne manqua d’apporter, avec diligence et fidélité, son prestigieux soutien aux défenseurs des humanités. Il fut ainsi le tout premier à signer l’Appel au président de la République pour l’avenir des langues anciennes et de l’école publié par notre association en mai 2015. Mais avant même que nous ne l’eussions sollicité et comme il avait reçu, le 22 mars, notre Déclaration sur la suppression du latin et du grec au Collège, il prit aussitôt la peine de nous encourager, bien plus, de s’associer à nous :

Cher Monsieur, je vous remercie de cette déclaration et vous prie de croire que je me sens en profond accord avec sa pensée et que je partage votre douleur.

Vous menez un combat dont je ne puis accepter de croire qu’il faille le tenir pour perdu.

Mes pensées les plus amicales vont vers vous.

Yves Bonnefoy

Il se trouve que ce message nous parvint presque au même moment que les réprimandes d’un haut fonctionnaire à la servilité nerveuse. Quel résumé c’était là de nos malheurs ! Le gestionnaire et le visionnaire, l’exécuteur aveugle de mesures scélérates et le continuateur de l’esprit, le rond de cuir en chef et l’auteur d’Hier régnant désert. Il est des rencontres improbables : celle de la Pléiade avec Terra nova en est une ; c’est à la fois effrayant et grotesque. Or, à tout prendre, la parole d’un grand poète vaut bien l’arrêt d’un haut fonctionnaire.

Bien sûr, Yves Bonnefoy est promis à une postérité dont l’idée ne saurait effleurer le grouillot dont le nom déjà se perd. Mais, s’il ne peut étouffer la voix du poète, le gardien-comptable peut faire en sorte qu’on ne l’entende plus. Le soutien que nous a apporté Yves Bonnefoy est une responsabilité qu’il nous rappelle et dont il nous investit tout à la fois, car les auteurs que nous avons lus et qui nous ont faits nous obligent à les transmettre à notre tour. Et après tout la cause que nous servons est elle-même une raison d’espérer :

Il me semble ce soir

Que le ciel étoilé s’élargissant

Se rapproche de nous ; et que la nuit,

Derrière tant de feux, est moins obscure. »