Par certains de ses aspects, la réforme du lycée peut représenter une chance historique pour le renouveau des études littéraires. Elle mettra fin au système sclérosé de séries choisies par calcul plutôt que par inclination au dépens des savoirs transmis et de la formation des élèves. Elle peut permettre aussi de dépasser l’opposition intellectuellement absurde entre « scientifiques » et « littéraires », opposition qui, après tout, n’a guère plus d’un siècle et qui est profondément nuisible, car les lettres ne sont pas un ornement gratuit, car les sciences ont besoin d’être pensées : on appelle cela l’humanisme.
À propos de l’humanisme justement, la réforme du lycée pourrait représenter une chance historique pour le renouveau des études littéraires, si elle était l’occasion de donner toute sa place, centrale et irradiante, à l’enseignement des humanités, à l’enseignement du latin et du grec, non pour former de futurs philologues, mais parce que la connaissance des langues et des lettres anciennes est essentielle à l’énergie du français et à l’acuité intellectuelle des jeunes Français, quels que soient le cursus universitaire et la voie professionnelle dans lesquels ils s’engageront.
Or, la DGESCO (qui s’est déjà illustrée en inscrivant les horaires de latin au collège « dans la limite de trois heures », empêchant ainsi leur rétablissement effectif à trois heures dans les deux tiers des collèges) présente, dans la note de service n°2018-109 du 5 septembre dernier, la spécialité « Littérature et LCA » dans une liste de spécialités dites « plus spécifiques » qui « feront l’objet d’une carte académique » ; au paragraphe suivant, les langues anciennes sont exclues de la liste des « enseignements de spécialité dont les combinaisons représenteraient une architecture en cohérence avec les études supérieures aujourd’hui les plus classiques (sic) »… On rirait de ce dernier adjectif, s’il n’y avait pas de quoi s’affliger au contraire à l’idée que soit relégué dans quelques établissements le soin de perpétuer et de renouveler la tradition humaniste.
La réforme du lycée aurait pu représenter une chance historique pour le renouveau des études littéraires, donc pour le pays, s’il était revenu à la spécialité « Littérature et LCA » de l’incarner ce qu’eût exigé le bon sens, ce qu’eût dû impliquer l’évolution du discours officiel. À vrai dire, l’écueil s’annonçait dès janvier, quand la dite spécialité n’était pas prévue (l’APLettres écrivit immédiatement au ministre pour en réclamer la création, ainsi que d’une spécialité « littérature en langues étrangères » : les deux requêtes furent exaucées) et qu’en revanche surgissait de nulle part un attelage baroque entre philosophie et littérature, la spécialité fallacieusement appelée « Humanités, littérature, philosophie », redondante par rapport au tronc commun des disciplines enseignées, épistémologiquement, pédagogiquement et politiquement inepte.
Cependant, une note de service n’est pas plus décisionnelle que la DGESCO elle-même et il est encore temps de saisir le moment, à travers trois mesures, qui s’inscrivent dans la logique de la réforme qui nous avait été annoncée.
D’abord, la suppression des « enseignements d’exploration » en Seconde, qui poussaient, matériellement et symboliquement, tant d’élèves, à abandonner l’étude du latin et du grec commencée au collège, permet à rebours de reconstituer un riche vivier de latinistes et d’hellénistes dans nos lycées. Il convient donc, pour ainsi dire, d’institutionnaliser l’occasion en créant en Seconde un enseignement obligatoire de trois heures à choisir, soit parmi les enseignements technologiques, soit parmi les enseignements d’humanités, dont la liste ne comprendrait, outre le latin et le grec, que la troisième langue vivante et les enseignements artistiques. Ce, sans préjudice d’un enseignement facultatif, à choisir dans cette même liste.
Ensuite, cette mesure, modique et légitime, permettra mécaniquement de peupler la spécialité « Littérature et LCA », qui, non seulement doit être proposée dans tous les lycées, mais doit, puisque c’est l’esprit et l’enjeu de la réforme en cours, et sous peine de voir reconduites, à peine larvées, les séries actuelles, pouvoir s’associer, par exemple, aux spécialités « mathématiques » ou « sciences de la vie et de la terre ».
Enfin, les options « latin » et « grec », elles aussi proposées partout (notons qu’une partie des heures de spécialité sera commune avec l’option), doivent bénéficier d’un dispositif qui reconduise l’actuelle bonification du coefficient 3 : leur intérêt pour la formation du lycéen, l’investissement qu’elles exigent de lui, l’enjeu qu’elles représentent pour le pays légitiment largement cet avantage.
Il est encore envisageable que la réforme du lycée représente une chance historique pour le renouveau des études littéraires, à la condition d’une communication puissante et enthousiaste à destination des familles, d’une volonté politique résolue et de la conscience claire, au moment où le monde court le risque de n’être plus un cosmos, le pays de n’être plus une cité, les humains, privés de passé et du logos, de n’être plus humains, que l’avenir des humanités est une urgence majeure.
Romain Vignest