L’à-venir du français

(Journée internationale de la Francophonie 2011)

Tantôt bruyant, au point parfois de passer pour intempestif, bien que ce ne soit que le fait de quelques-uns, de petits groupes, voire d’un petit groupe, mais dont l’acharnement revendicatif ne connaît pas de limites, tantôt silencieux, si peu audible, et c’est pourtant le fait d’une majorité de locuteurs, qu’on le croirait inexistant qu’on le prendrait pour la timide expression d’un fantasme mal assuré, un discours enfant de la rumeur (au sens initial, du bruit) et du silence, résonne, que l’on incline à tenir pour nouveau, pour engendré par des circonstancesdont on n’aura pas eu, attaché à des considérations médiocres et obsédé par des passions frivoles, la perspicacité d’observer le surgissement, jamais si lent et inapparent qu’on le prétend, et qui se veut réaction auxdites circonstances mais qui n’a nullement le caractère de nouveauté qu’on lui, en toute innocence, prête, car remontantd’une certaine manière, au moins à l’époque glorieuse du triomphalisme de l’« universalité » de la langue française à partir du dix-huitième siècle————mais que ceci ne fasse oublier la très grande diffusion du français en Europe antérieurement à cela, —————-jusqu’au congrès de Vienne sinon jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle voire jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale dont l’envers fut, avec lucidité, prophétisé par Hume. Ce n’est point que ce discours se fît déjà clairement entendre dès le dix-huitème siècle, mais il était déjà comme en germe inscrit dans le triomphalisme exubérant qui alors s’exprimait.

Ce discours que l’on dira manifestement alarmiste et qui se veut probablement tel, qui peut donner l’impression d’être revanchard alors qu’il n’est inspiré que par l’amour de la langue, encore qu’il ne faille jamais exclure les volontés de nationalisme ou même de chauvinisme se reconnaît surtout à ses accents passéistes et à un certain ton nostalgique : expression, agressive ou/et larmoyante d’un regret, il vise à alerter à conscientiser. Le français se meurt, nous dit-il; encore un peu, il prononcerait mort le français, ce que, d’ailleurs, il fait d’une certaine manière en dénonçant les multiples intrusions dont serait victime le français. On l’a pendant longtemps, ce discours, entendu dans les colonies françaises, où l’on, sans doute très sincèrement plusieurs facteurs y contribuant dont l’identification, aliénante ou non, avec la langue, mais aussi le désir de domination et la crainte du changement, redoutait une éclipse de la langue pouvant conduire à sa disparition pure et simple. Sancta simplicitas ! Ce discours avait, a, néanmoins le mérite d’être motivé par la passion de la langue; de nos jours, quand il retentit, on peut sauf dans certains cas où les appréhensions pour la vie de la langue et l’identité culturelle—–que l’on n’aura la sottise de tout simplement confondre avec l’identité ethnique, ou encore nationale, ———sont bien réelles, se demander s’il ne s’enthousiasme pas plutôt pour les seuls intérêts économiques et politiques de la France. Et personne ne s’étonnera si ceux qui ne songent qu’à ces intérêts-là, oubliant qu’à la base de tout, il y a la culture, autrement dit la langue, délaissent allégrement le français, pour peu qu’ils se laissent dire, mais à tort, que les intérêts économiques et politiques de la France n’exigent aucune mobilisation en faveur de la langue française.

Cependant, quels que soient les motifs qui commandent le discours alarmiste, le discours qu’ ainsi nous qualifions pour faire vite, il demeure un discours stérile. Certes on comprend parfaitement que, face à la menace à l’invasion non pas tant de l’anglais ou de l’anglo-américain, que du Global English du Globish contre le langage de l’informatique et celui de la techno-science qui privilégie le Globish on s’inquiète de l’avenir du français. Cette inquiétude est-elle, toutefois justifiée ? Faut-il vraiment penser que l’avenir du français est déjà programmé, que son sort est scellé d’ores et déjà ? Dans ce cas, ne faut-il pas se simplement résigner et se contenter du discours de l’élégie, quand on ne choisirait la voie de la dénégation ? Ce ne serait pas moins un mobile suffisant pour réagir. Mais cette inquiétude-là, celle dictée par la dangereuse proximité du Globish suggérée par la perte d’identité à soi du français, ravivée par le souvenir de l’aura désormais assombrie de cette langue, et dont on peut se demander si obéissant à des considérations bien plus économico-politiques que linguistiques, elle n’est pas simulée pour provoquer des réflexes de type réactionnaire, est foncièrement fausse; et elle l’est même quand elle est l’expression d’une volonté de purisme. Elle ne renvoie pas moins à une autre inquiétude, fondée celle-là, qu’elle occulte ou même chercherait à occulter. Et si le discours alarmiste, dont la nécessité ne, en fait s’impose nullement à moins qu’on ne soit d’avis que c’est ce discours-là qui(seul ? ) partout s’impose, ce qui n’est pas, au fond, impossible, devait trouver une justification, ce serait probablement là.

De quoi s’agit-il? Mais il faut d’abord éviter toute possibilité de confusion. Il y ail y aurait un premier propos alarmiste, le discours traditionnel de l’alarmisme, lequel ne peut qu’être stérile dans la mesure où il se réfugie dans un passé bien plus imaginaire que réel très souvent pour s’y narcissiquement mirer, quand il ne choisit de se replier sur lui-même, hostile, ou du moins indifférent à toute forme d’altérité. Figé sur lui-même il n’avance qu’en régressant ou en piétinant, et, pire, il ne donne lieu à aucune ouverture sur le dehors. C’est même tout le contraire de l’universalité. À côté de ce discours –là, il y ail y aurait un deuxième discours alarmiste, mais qu’on ne peut plus vraiment qualifier d’alarmiste et qu’il vaut mieux qualifier de critique. Il ne fait pas grand cas du déclin réel ou non, du français, ni de l’expansionnisme globishant sans pour autant en ignorer la portée; il ne pense devoir s’y attarder que pour ceci que le déclin, ou prétendu déclin du français n’a point pour origine véritable des facteurs externes et que la menace du Globish est due nettement moins au Globish lui-même qu’à l’attitude de bien des locuteurs francophones, voire au comportement des locuteurs français, sinon à certaines positions politiques de la France. À ce stade il convient de rappeler que hier encore le discours scientifique qui, ne l’oublions, auparavant s’exprimait de préférence en latin——–tout le monde en connaît les raisons, mais si nous le soulignons c’est pour que l’on garde à l’esprit que le français est une langue romane, parmi d’autres il est vrai, et que l’on en déduise qu’il peut très bien fonctionner comme l’a fait le fait le latin, ce que par ailleurs, il faisait d’une certaine manière quand l’Europe tout entière(ou presque) parlait français————, ne rencontrait aucun mal à s’énoncer en français, comme en témoignent entre autres, et de manière fort éclatante, les travaux de Paul Bert, de Bourbaki, de Monod, pour ne mentionner que ceux-là, mais on pourrait aussi bien évoquer ceux du légendaire Charcot, de Claude Bernard, de Janet. Et si un scientifique de la valeur de Jean-Pierre Changeux ne choisit pas toujours d’écrire en français, ce n’est pas parce que le français serait dysharmonique quant au discours scientifique, et cela, c’est Changeux lui-même qui l’admirablement démontre avec L’homme neuronal. Bref, le français n’est pas plus, ni moins,, impropre que n’importe quelle autre langue que le Globish surtout qui, contrairement à un contresens dont on comprend mal qu’il ait pu se répandre avec la facilité que l’on connaît, est, résultant d’un appauvrissement linguistique délibéré dans le(peut-être) seul souci pratique d’une communication minimale, s’il faut parler d’efficacité, ce dont nous doutons, d’une efficacité douteuse, ou même que l’anglais, que l’anglo-américain, à explorer le domaine scientifique. En fait, tout ce qui précède immédiatement repose sur une théorie erronée de l’expressivité, du plus ou moins d’expressivité des langues:certaines langues sont, seraient plus expressives que d’autres. Mais, encore qu’il faille, sans doute, tenir compte de l’état d’une langue, avec tout ce que cela peut supposer en termes d’histoire, surtout, les langues ne sont pas plus ni moins expressives : elles ne sont même pas expressives. Elles sont, et ce qu’elles sont, plus ou moins stablement, durablement, mais jamais définitivement, c’est la résultante d’une histoire d’une histoire sociale, économique, politique, culturelle, militaire, de l’histoire de rencontres et relations avec d’autres peuples d’autres langues, sur le mode de la coopération non moins que sur celui de la confrontation. Et les conséquences en sont multiples et variées; les phénomènes de conquête, de domination, de colonisation et d’exploitation———-et ces termes ne sont nullement synonymes, —————-ont pu faire croire————- à qui cependant? ————–qu’il y a, qu’il y avait des langues supérieures et des langues inférieures, mais le fait c’est que les langues valent ce qu’elles valent, nous voulons dire, fonctionnent comme elles le font, et les changements, quelle qu’en soit la nature, qui y interviennent, sont, même quand il s’agit de langues dominées, opprimées, réprimées, discréditées, de langues dont on décourage et censure la pratique, que l’on proscrit et frappe d’ostracisme, sont essentiellement le fait des locuteurs, et peu importe, à la limite que ce soit des locuteurs autochtones ou étrangers, cette distinction étant au fond caduque, le fait des travailleurs de la langue, des poètes et des écrivains surtout. (Le problème, cependant, c’est qu’ils sont nombreux à croire qu’ils écrivent, alors qu’ils ne font que ruminer.)

Mais reprenons; le discours critique, disions-nous, ne plonge pas ses racines dans le constat inquiet du dépérissement de la langue en raison de facteurs exogènes. Il n’y est certes point inattentif, mais son souci se trouve ailleurs logé. Ce qui l’agace, quoique pas au point de lui faire perdre la tête, c’est l’extrême désinvolture avec laquelle la langue, en l’occurrence celle dite française, est traitée, une désinvolture qui confine à la négligence, peut-être même au mépris, très certainement à de l’irresponsabilité. Elle n’est pas totale, mais elle est d’une présence massive et écrasante; le pire, c’est qu’elle est devenue comme naturelle———— si encore ce n’était qu’un effet de mode !—————-, et c’est à peine si l’on en a conscience. Elle est lisible et audible un peu partout, mais comme on ne sait plus ni lire, ni écouter———–et la faute en revient moins à la technologie aux médias qu’à la qualité de l’enseignement et à une formation médiocre des maîtres————-, on ne s’en rend même pas compte. On pourrait croire que c’est tout naturellement que le locuteur dont la langue maternelle ou, comme on dit souvent, naturelle————mais il n’y a ici rien de naturel, la langue étant de l’ordre du culturel———-, est le français, parle cette langue. En fait il parle la langue qui lui aura été enseignée, à laquelle il aura été et est exposé. Il est vrai que tout locuteur n’est pas tout simplement prisonnier de son environnement linguistique, mais il n’est pas moins vrai que la plupart des gens ne disposent pas, pour de multiples raisons, lesquelles sont sociales, économiques, culturelles et politiques, des moyens intellectuels et matériels nécessaires qui leur permettraient de se libérer des influences bonnes et mauvaises, surtout mauvaises, qu’ils ont pu subir, pour se forger leur langue à eux, ou qui, au moins les encourageraient à œuvrer dans ce sens. Ce n’est point se montrer irréaliste ou donner dans l’utopisme que de se dire que de penser que tout le monde doit pouvoir travailler la langue et se forger la sienne, laquelle affirmera son autonomie relative tout en gardant des liens solides avec la langue l’état, pluriel, de langue hérité. Le sujet humain est un être de langage; il ne vit que par la langue, les langues. Sa vie, ce qu’il en fait, en peut faire, en veut faire, est intimement liée à son rapport, conscient et inconscient, au langage à langue, aux langues, et si ce rapport se limite essentiellement sans même qu’il s’y réduise entièrement, ce qui, par ailleurs, n’est guère possible, aux influences reçues et aux conditionnements subis, il sera très peu, si peu un être libre. Et c’est se montrer très peu respectueux des autres, très peu démocratique, comme on dit, que de vouloir réservée aux seuls écrivains, par exemple, une relation toute particulière, toute spéciale au langage à la langue, aux langues.

Toutefois, pour que ce rapport soit possible, il est indispensable de connaître la langue, et de la bien connaître. Cela n’est jamais aisé et la difficulté se trouve considérablement aggravée du fait de la désinvolture plus haut dénoncée, laquelle consiste en un relâchement dans la pratique et une volonté de simplification. Il s’en ensuit un mépris à peu près total des règles——on peut songer à l’emploi du subjonctif, au non-respect de la concordance des temps, à l’accord du genre et du nombre, aux fautes de grammaire et d’orthographe en général, ———– et un laisser –aller dans le choix du vocabulaire, au niveau de la prononciation, dans le souci à peu près inexistant de variété, dans le recours systématique aux clichés, dont la langue, dont toute langue————et toute langue est toujours constituée de plusieurs langues, de plus d’une langue en tout cas—————-, ici le français———–mais même si cela peut sans doute, s’appliquer à n’importe quelle langue, nous n’en estimons pouvoir dire, pour l’avoir constaté que le problème signalé ici affecte surtout le français, et nous insisterons sur le français pour une raison qui nous et probablement pas qu’à nous, est chère et que nous évoquerons plus loin————, sort meurtrie et appauvrie.

Cela ne surprendra personne que nous tenions, sans aller chercher du côté de ceux privilégient l’anglais, par exemple, au détriment du français, ou encore de ceux qui truffent leur langage d’emprunts étrangers ————pas seulement sur le plan lexical, mais également aux niveaux idiomatique et stylistique (ici, une précision s’impose: il faut établir une distinction entre le mélange conscient et savant des langues qui n’est possible que sous réserve d’une maîtrise réelle des langues en question et le mélange innocent et ridicule, auquel on a souvent droit) ————-, pour responsables de la désinvolture et du relâchement que nous ne saurions approuver, encore qu’une certaine désinvolture et un certain relâchement à condition que la paresse et l’ignorance n’y soient pour rien, ne méritent pas forcément d’être condamnés, ceux qui exposent le locuteur moyen, sinon tout locuteur, le public en général à un français que, par euphémisme, nous choisirons de qualifier d’insuffisant; nous avons en tête les gens des médias, du moins certains d’entre eux, certains soi-disant écrivains, les hommes politiques à peu d’exceptions près, mais bien plus encore les différentes institutions, étatiques ou non, (à la tête desquelles il y a, bien entendu, des gens, des personnalités, des célébrités, et même des sommités) qui, en offrant tribunes et colonnes à des analphabètes et à des charlatans, en acceptant de publier d’authentiques rebuts———–il convient de préciser que les rebuts en question n’en ont (presque) jamais l’air et peuvent même faire illusion, mais ils ne rencontrent l’assentiment du public que parce qu’on l’y aura, pour des raisons que n’importe qui saura deviner, préparé, ———— dans un unique souci de gain financier, en proposant à l’admiration identificatrice de la foule des médiocrités absolument lamentables, et en couronnant des plumitifs illettrés qui, du coup, s’imaginent être des écrivains, induisent le public en erreur, répandent des idées fausses, et consacrent le règne du misérabilisme.

Pourquoi en est-il ainsi ? La réponse à cette question, s’il y en a, est malaisée ; en effet, ce n’est pas comme si personne ne s’intéressait à la situation dans laquelle se trouve le français et qu’il n’y eût des défenseurs et des travailleurs de la langue. On peut craindre cependant, qu’ils ne soient pas suffisamment nombreux. Et puis, il le faut bien hélas! reconnaître : la langue est, pour la très grande majorité des gens, une passion superflue, inutile. Et quand on est trop occupé à gagner sa vie, on n’a pas vraiment le temps de se préoccuper de la langue. Il est bien regrettable qu’il en soit ainsi, vu que, si l’on se souciait ne serait-ce qu’un peu de la langue, de sa langue à soi, des langues, c’est toute sa conception, son approche à soi de la vie qui s’en trouverait changée. Mais les exigences du quotidien avec les urgences économiques, sans compter les pressions médiatiques sont telles que, dans la plupart des cas, il est difficile, voire impossible, d’accorder quelque considération à la langue surtout quand on la parle comme on respire. Quant à ceux qui la langue, le français, ne l’ont pas toujours parlée comme on respire mais qui ont fini par la parler comme on respire, nul doute qu’ils y soient plus attentifs pour de multiples raisons qu’il n’est même pas nécessaire d’évoquer, vu que tout le monde les connaît, les peut connaître en tout cas. Cependant, ils peuvent toujours, sauf quand l’identification est à peu près complète avec le français————et cela mérite une autre analyse———–, avoir des attitudes et des réactions ambivalentes, car ce qui est en jeu ce n’est rien de moins que l’identité culturelle.

La question de l’identité culturelle renvoie avant tout à la langue, celle, voire celles avec lesquelles on a grandi et auxquelles on a été exposé. En général, elle ne fait pas question, on ne la tient même pas pour réglée tant elle semble évidente ; si d’aventure on (se) la pose, c’est que l’on est confronté, sur le mode agonistique à des figures de l’altérité Toutefois, même quand on (se) la pose, il est exceptionnel que l’on souligne la dimension linguistique en faisant valoir l’importance du travail de la langue, vecteur de l’identité sociale non moins qu’individuelle. Si l’on fait exception de certains enseignants, penseurs et écrivains, on est bien obligé de constater que ce qui prévaut, c’est un état de non-travail de la langue, lequel se résume à de la répétition. Or il n’y a de travail de la langue que là où il y a transformation active, une transformation active qui réactivant le passé de la langue, la déporte vers un ailleurs qui sans cesse se déplace la rend, la langue, ici le français, comme étrangère à elle-même.

Il s’agit d’un travail difficile, éprouvant à l’extrême rendu plus difficile encore par les circonstances générales de (ce « naufrage » qu’est) la vie, mais ce à quoi il faut s’en tenir c’est que sans ce travail-là, la langue est vouée à la sclérose et à la nécrose et l’individu n’est guère différent d’un pantin, d’un automate, car à peine doué de quelque forme d’autonomie, n’ayant d’identité que surtout collective, parlant, écrivant, agissant pratiquement toujours comme les autres, avec heureusement de temps à autre, des sursauts d’individualité, mais toujours pour vite replonger dans la masse anonyme qui le submerge et l’engloutit. Ce travail-là, avons-nous dit, est mené surtout par certains enseignants, penseurs et écrivains, mais c’est à l’État, à commencer par l’État français, et à ses institutions nationales aussi bien qu’internationales, qu’il revient d’encourager ce travail de la langue, autour de la langue, sur la langue, de tout mettre en œuvre pour qu’il soit possible et se concrétise, non seulement à l’Université et à l’Académie, mais également et peut-être surtout, dans le vécu du quotidien. Nous ne doutons pas qu’il en ait les moyens.

D’aucuns pourraient objecter que l’État français et ses institutions œuvrent justement dans ce sens, et de citer diverses réalisations dans le domaine des Lettres, par exemple, et dans l’espace culturel francophone en général. Sans doute ; mais, depuis le départ du président De Gaulle surtout, encore qu’un certain François Mitterrand s’évertuât à pratiquer un français rigoureux, force est de constater que tout réel souci pour l’épanouissement du français ———–pour le travail de la langue tel que plus haut défini, ———n’a cessé de s’amenuiser. Pourquoi ? Parce que, de manière générale, la France et ses institutions, ceux qui en sont responsables, les Français eux-mêmes et les francophones ont l’air de croire, mais à tort, qu’il n’y a pas grand intérêt à se préoccuper pour le français, pour la simple et mauvaise raison que cela ne ne paie ne paierait pas, pas assez en tout cas. C’est probablement ce que pensent également ceux que plus haut nous dénoncions, certaines personnalités des médias, du monde littéraire et de la scène politique. Il faudrait également associer à cette volonté de non-travail l’auto satisfaction ————–on se félicite trop rapidement, on est trop facilement heureux de ce qu’on fait, à croire que cela serait possible—————, la fausse modestie————-on feint de vouloir se mettre à la portée des autres et on prétend répondre à la demande du public, comme si ce que le public réclame n’était pas bien souvent manipulé——————–, et la paresse—————on préfère ne pas se fatiguer, on se contente du moindre effort possible, oubliant que cela est peu digne de l’être humain.

Dans ces conditions, il semble que l’avenir du français soit d’avance connu; autrement dit, il faut croire que le français n’est promis à aucun avenir, car réduit surtout à des redites, à des clichés, à des lieux communs, ou peu s’en faut. À moins qu’il n’y ait des réactions; mais encore faut-il qu’on se garde, nous en avons plus haut fait état, des réflexes de type nationaliste. Pour commencer——–et le commencement comme on le sait, est toujours ardu et vient toujours tard, à la tombée du jour————-, il faudrait opérer un retour aux classiques axer l’enseignement de la langue dans la perspective des belles-lettres, exalter la pratique du beau langage et décourager toute tentation de laxisme. Voilà qui va nous faire accuser de conservatisme, de purisme, d’orthodoxisme, mais pour peu qu’on ait prêté attention à ce que nous avons déjà avancé relativement au passéisme et au nostalgisme, on n’y devrait même songer.

Le langage, la langue, on nous excusera de le rappeler, préexiste au sujet humain qui ne peut faire acquisition du langage parlé sans se conformer à un certain état de la langue. Cet état de la langue est, si l’on veut, arbitraire, autoritaire, voire fasciste; il est travaillé par de multiples surdéterminations d’ordre social, économique, culturel et surtout politique, il ne constitue pas moins la base, la norme, l’orthodoxie à partir de laquelle le sujet humain se mettra à faire acte de langage. On pourrait appeler cet état de la langue le Surmoi linguistique. Qu’on le juge aussi répressif qu’on le voudra, mais qu’on n’omette, en même temps, d’en relever la nécessité: sans lui, pas de langue, pas d’acte de parole. (Nous ne nous aventurerons pas à affirmer : pas de langage, vu que tout est langage. Maisil s’agit là d’une autre question que nous n’aborderons ici.) Entretînt-il des visées protectrices, le Surmoi ne sera pas moins encore que l’identification consciente et inconsciente, avec le Surmoi en lequel on s’interdira malgré tout, de voir une structure monolithique soit beaucoup plus fréquente qu’on ne le pourrait imaginer, perçu comme une instance intransigeante, voire dominatrice ; il faut cependant beaucoup d’ingénuité pour en tirer conclusion, hâtive ou non, qu’il ne peut qu’être paralysant et stérilisant.

Il faut bien commencer surtout qu’on finit toujours par comprendre qu’on a toujours déjà commencé, trop souvent sans le savoir, et puisqu’il s’agit de commencer, il vaut encore mieux que ce ne soit pas n’importe où, n’importe comment, avec n’importe quoi et n’importe qui. Quitte à se tromper et quitte à les plus tard récuser——-et il faudra bien à défaut de les pouvoir récuser, tenter de les dépasser, de les surmonter, ou du moins, de les transformer————–, on choisira de privilégier, dans un premier temps, lequel peut parfois durer assez longtemps, les classiques, les œuvres consacrées. les travaux dont la qualité, même par les envieux et les détracteurs saluée, ne souffre aucune contestation. On se mettra en tête qu’il faut tout d’abord apprendre les règles, consentir à maîtriser le sens des mots, se rompre aux exercices de style, et comprendre les distinctions de registre afin de pouvoir s’imprégner de l’idiome que l’on est appelé à pratiquer, que l’on doit veut, ou cherche à pratiquer, des particularités et des spécificités du français sans rien renier quant à ses origines, son histoire, qui est aussi l’histoire de ses contacts avec d’autres langues, et à son évolution. Et là, les grands développements en matière de grammaire et de linguistique françaises nonobstant, on n’a pas encore trouvé mieux que les Larousse, Bescherelle, Damourette, Pichon, Bloch, Von Wartburg, Wagner, Pinchon et Littré, pour ne citer qu’eux.

Parallèlement afin de promouvoir l’immersion dans l’élément de la langue de manière telle que le respect des règles en soit stimulé et le culte du beau langage soutenu, on préconisera la fréquentation de ceux qui savent parler et écrire correctement., ceux qui sont connus et reconnus pour la qualité, la rigueur et la beauté de leur langue. À quoi les reconnaître ? Comment les identifier? Nous n’ignorons qu’il est toujours possible de débattre à l’infini autour de ces notions, elles-mêmes sans doute fort discutables, de qualité, de rigueur, et de beauté, mais on ne risque pas de se beaucoup tromper en marquant une préférence pour des auteurs comme Ronsard, Montaigne, Racine, Corneille (Pierre), Chateaubriand, Balzac, Flaubert et Proust par exemple, étant entendu que cette liste n’est surtout pas exhaustive. L’idée, ici, c’est de se constituer une base à partir de laquelle on développera sa pratique à soi du français. Bien que tout apprentissage suppose un facteur de mimétisme———–nous ne disons pas : de psittacisme—————, il ne s’agit pas de tout simplement, encore que ce soit loin d’être simple, de s’enfermer dans quelque forme de mimétisme et de s’y indéfiniment accrocher, mais de prendre appui sur certaines références afin de se former voire de se perfectionner, dans le but de s’améliorer si l’on préfère. Et ensuite, on s’efforcera peu à peu, de s’en affranchir autant que possible, pour conquérir son autonomie linguistique à soi, laquelle, sans être jamais totale, pourra toujours être sous réserve de travail, suffisamment satisfaisante, pour que ceux que l’on rencontre n’aient pas le sentiment d’être confrontés à un singe ou à un perroquet.

Mais ne serions-nous pas en train d’accorder une faveur immodérée aux grammairiens et aux auteurs du passé, encourant ainsi le reproche de passéisme, ou encore celui de traditionalisme ? Si encore, nous avions mentionné des grammairiens et des linguistes dont le sérieux et la compétence sont contestables et que nous eussions proposé des auteurs dont la crédibilité est douteuse, cette critique eût pu nous être adressée, mais nous ne pensons que tel soit le cas. On peut bien entendu, évoquer les grandes qualités d’écrivain de Céline, de Roger Rabiniaux, de Beckett, de Sollers, mais nous tenons qu’avant d’écrire comme Céline et Sollers, il faut avoir essayé d’écrire comme Flaubert ou Balzac. (Balzac lui-même, comme chacun le sait, a avant de devenir Balzac, commencé par écrire comme Walter Scott.) Puisqu’il faut bien commencer quelque part, pourquoi ne pas commencer avec, par les meilleurs, les meilleurs ne fussent-ils que ceux qui passent pour les meilleurs ? Si, chemin faisant, on se rend compte qu’on s’est trompé, on pourra toujours tâcher de rectifier. On l’a tant de fois répété : rien ne remplace, comme le disait si bien Roberto Benzi s’adressant à un amphithéâtre de professeurs et d’étudiants à la Faculté des Lettres de Bordeaux ou répondant à Jacques Chancel les classiques, du moins pour les commencements. Après on verra. Picasso, avant d’être le peintre que l’on sait, a appris à dessiner et à peindre très classiquement. Les compositeurs préférés de John Cage, l’inventeur du silence étaient Bach et Schönberg, et cela ne devrait étonner personne.

Toutefois, les classiques ne sont qu’un point de départ. Nous nous opposons fermement à l’admiration idolâtre et à l’imitation servile, qui souvent s’ignore, des grands classiques, s’agît-il des plus grands. Nous voulons bien qu’on apprenne auprès d’eux, qu’on s’inspire de leurs œuvres, qu’on les imite même, mais pourvu qu’on comprenne la nécessité de ne s’y point arrêter. C’est bien à l’imitation qu’eurent recours Ronsard et Du Bellay dans leur volonté de défendre et de promouvoir la langue française ; ils commencèrent par imiter le sonnet toscan, mais ils pratiquèrent ce que l’on pourrait, ce que l’on devrait même appeler une imitation créatrice. De même le grand poète anglais John Milton ne songeait pas à autre chose qu’à l’imitation d’Homère et de Virgile mais il ne fit pas que cela. Il fit même si peu cela seul que, lisant Paradise lost personne ne penserait ni à Homère, ni à Virgile.

Une fois les règles intériorisées, la langue canonique domestiquée, on pourra s’ouvrir à autant de pratiques diverses et variées de la langue que l’on voudra, fussent-elles peu conformes à l’orthodoxie régnante. On le fera alors en connaissance de cause, et à partir de là, on pourra graduellement forger sa langue à soi. Sinon, nul doute qu’on fasse n’importe quoi, n’importe comment, ou encore qu’on se contente de parler———-et d’agir, ————comme tout le monde. Et la langue de tout le monde, ce n’est pas une langue que l’on parlerait, pratiquerait naturellement, comme on dit, mais celle de son environnement, celle discrètement ou non, imposée par les médias, celle de l’École aussi, voire de l’Église, de ce qu’on appelle l’Autorité en général, et il ne s’agit pas moins de l’autorité de l’État que de celle de la rue. Elle peut comme on croit pouvoir l’affirmer un peu trop rapidement et facilement faciliter l’intercompréhension et la communication, mais la langue, ce n’est pas que de la communication, si tant qu’existe vraiment quelque chose de tel. Et même en l’admettant correcte, exempte de fautes, rigoureuse cette langue de tout le monde, de tous les jours, cette langue commune ————qui, il sied de le rappeler, est loin d’être une unie, uniforme, homogène, même si elle peut en donner l’impression ————, elle ne peut que contribuer à l’étouffement, à l’im-personnalisation du sujet parlant, écrivant.

Le langage, la langue est essentiellement rapport à à l’autre aux autres, aux êtres et aux choses dans l’insondable complexité de leur fascinante singularité et de leur abondante diversité, à soi aussi, bien évidemment, et quand la langue que l’on pratique n’est pas la sienne à soi, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit jamais que cela cependant, ce rapport se trouve vicié en son principe et le sujet humain réduit à une espèce d’automate, n’est plus rien ni personne. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, et que le sujet parlant puisse être à même de créer sa langue à soi, ayant assimilé les règles, ayant étudié la langue sous tous ses aspects, surtout sans oublier ses rapports avec d’autres langues il faut une politique de la langue. En fait il y en a toujours, même quand il n’y en a pas. Ce qu’il faut, c’est une politique savante et réfléchie qui, sans dirigisme, se fixe pour objectif l’épanouissement du sujet humain par le biais d’une approche de la langue qui insiste autant sur le respect de la norme qu’elle reconnaît la nécessité de la transgression. : norme et transgression en même temps, constamment, dans l’éloignement de toute idéologie.

Il s’agit là d’une tâche interminable qui requiert tout un apprentissage. Elle est surtout indispensable, car il y va de la liberté et de l’épanouissement du sujet humain. Cette tâche ne concerne pas que le français, c’est un truisme que de le signaler, mais dans la présente configuration géo-politico-économico-culturelle, elle revient peut-être, tout spécialement au français. Dans un premier temps, mais dans un premier temps seulement, à l’État français, à ses institutions en France, aussi bien que hors de France, et il ne s’agit guère d’une tâche dont on pourrait dire qu’elle soit particulièrement difficile. La France en a les moyens; ses dirigeants n’en ont probablement ni le désir, ni la volonté, quand ils en comprendraient, ce qui est peu sûr, l’urgence, vu qu’il semble bien que pour eux, non moins que pour bon nombre de Français————-il est bien évident que nous n’avons pas en tête ces millions de Français abrutis par le travail, condamnés à travailler pour vivre et à vivre pour travailler, à survivre dans l’espoir de vivre, et qui n’ont ni le temps ni les moyens, quels qu’ils soient, de se poser d’autres questions que celles ayant trait à leur morne et désespérant quotidien—————–, l’urgence se trouve ailleurs. Et c’est dommage d’autant plus que non seulement l’urgence ne se loge ailleurs, mais les intérêts de personne non plus, ceux des non-Français et des non francophones compris. Est-il besoin de préciser que les professeurs, les penseurs les écrivains, quoique pas seulement eux, mais surtout eux peut-être, se voient eu égard à la situation qui prévaut, conviés à une mission dont on ne saurait surestimer ni l’importance ni l’urgence ? Car ce qui est en jeu, ce n’est pas simplement l’avenir du français————-nous avons déjà dit ce qu’il en est de ce concept, sans bien entendu, prétendre en avoir épuisé toutes les implications————–, mais l’à-venir du français et, par extension, le sort du monde.

Qu’est-ce à dire? Le monde n’a peut-être jamais autant qu’actuellement été menacé par diverses formes de totalitarisme, hanté par des désirs d’intégrisme et d’extrémisme, assiégé par des volontés d’hégémonisme, et dominé par l’abdication et la capitulation face à l’idéologie. Les traits et la dynamique de cette configuration sont largement connus, et il n’est pas bien difficile de deviner ce qui, surtout si l’on ne s’avise d’agir et de réagir, nous attend tous. Pour des raisons historiques, politiques et culturelles surtout, le français————–par le français tout le monde doit avoir compris que nous entendons une structure, ou mieux un processus et cela vaut pour toute langue, pas seulement pour le français, pluriel, hautement diversifié, reposant sur des normes des règles, chargé de toute une histoire, enrichi ou altéré suite à ses contacts avec d’autres langues, ou encore par les mutations et développements dans les domaines de la science, de la technique et de l’économie, soumis régulièrement à des changements, à des variations, mais nullement au point de s’en trouver de fond en comble transformé, d’en devenir réellement méconnaissable, et surtout foncièrement dynamique et ouvert, sans pour autant croire que nous faisons référence à des qualités, des attributs, des prédicats, du français, ou des langues en général ; ce dont il est question, c’est du travail de la langue, lequel, pour avoir lieu tout le temps sans doute, n’est vraiment effectif qu’à certaines conditions, en adoptant des stratégies variées, sans jamais produire des résultats identiques, ni déboucher sur des conséquences prévisibles, et nous pensons peut-être à tort, que ce que nous venons de décrire à très grands traits s’applique surtout à la langue française, au travail, aux travaux rendus possibles grâce au français,, sur le français pour et contre le français à la fois, ————jouit du prestige qui est le sien, joue sur la scène internationale le rôle que l’on connaît. Mais ce n’est pas cela, le plus important, ni les clichés vantant les mérites, le génie, de la langue française, faisant l’éloge de son universalité, de sa clarté, ou encore de sa beauté. Notons, en passant, que ces stéréotypes sont éminemment dangereux, car induisant des effets de léthargie due à cette même autosatisfaction que nous relevions plus haut. Ce qui nous intéresse et ce qui est intéressant, ce sont les développements auxquels des travaux sur la langue française ont pu donner lieu.

De Mallarmé à Philippe Sollers, en passant par Lacan et Derrida, pour prendre quelques repères pratiques, le français s’est révélé d’une efficacité particulièrement remarquable dans le combat contre toute forme d’idéologie, dans le travail en faveur de « l’abaissement qui tient à tout monocentrisme ». Comme nous l’avons, plus d’une fois ailleurs rappelé, et comme nous ne cessons de le répéter les grandes avancées dont le vingtième siècle a été témoin dans les domaines du surréalisme, du dadaïsme, du structuralisme, de l’anthropologie avec Levi-Strauss, de la psychanalyse, avec Lacan, au niveau de ce qu’il est convenu d’appeler la déconstruction, avec Derrida, de l’écriture en général, avec les travaux du groupe Tel Quel et dans d’autres sphères encore, ont eu lieu en français. Ce n’est pas que le français soit investi de prérogatives spéciales en raison de qualités qui lui seraient inhérentes ; c’est une question de travail. Et le français aura eu la chance, si l’on veut, d’être le lieu de ce travail, certaines conditions toutes propices ayant, probablement, été à certains moments réunies pour le rendre possible. Ces travaux que nous venons d’évoquer auraient peut-être bien pu s’effectuer dans d’autres langues, le fait, c’est qu’ils se sont produits surtout en français, et nous nous contentons de le simplement constater. Mais cette chance du français, la chance qu’aura eue le français, ce n’est pas que la chance du français, c’est une chance pour toutes les langues et pour tout le monde.

Plutôt que de dire que le français, autrement dit le travail de la langue, sur, autour, pour et contre la langue, des locuteurs francophones, pas seulement des Français, plus précisément celui de professeurs, penseurs et écrivains, mais pas que leurs travaux, pas qu’eux————–il y a beaucoup de gens qui ne sont ni universitaires, ni écrivains, qui n’ont publié la moindre ligne, mais pour peu qu’on les écoute, on se sent pénétré de la parfaite conviction d’être en présence de ce que l’on appelait quelque peu religieussement durant les années soixante-dix, texte ————, sert d’exemple, nous préférons suggérer que le français, certaines pratiques du français, telles qu’elles s’énoncent dans les oeuvres de Derrida, de Sollers, de Blanchot et de tant d’autres, montrent peut-être la voie. (Et le terme voie nous l’utilisons ici au sens qu’il peut revêtir dans la tradition taoïste: sans doute est-ce une voie, un chemin, mais c’est un chemin qu’on n’en finit pas de toujours chercher.) Peut-être seulement, rien n’étant, à aucun moment garanti, fût-ce en répétant, en copiant, si tant est que cela soit possible, Blanchot, Lacan, Derrida, ou Sollers, et en parlant de Sollers, il importe de préciser que nous avons surtout en tête le Sollers de Nombres Lois H et Paradis ou encore celui de Mystérieux Mozart.

Montrer la voie: il ne s’agit bien évidemment de proposer des recettes, d’infaillibilité ou non, ni d’élaborer des programmes, ni même de formuler des politiques de la langue. Certes, nous n’ignorons pas avoir plus haut fait allusion s’agissant du français, à la nécessité d’une politique linguistique. Mais nous n’entendions nullement par là une politique influençant directement la langue. Nous songions et songeons toujours à la création ———et à cet égard, les gouvernants ont tous un devoir dont il n’est pas sûr qu’ils soient vraiment conscients, leurs protestations nonobstant, et dont il leur faut tâcher de s’acquitter, ————-d’un espace propice à la recherche et à la production. Cela suppose des investissements matériels la mise à la disposition des enseignants, des chercheurs, des artistes des travailleurs de la langue en général, des moyens les encourageant et les incitant à se toujours dépasser. Cela implique également que l’on ne recrute pas des incompétents et que l’on ne récompense des médiocres, dans l’enseignement et la recherche, dans les médias, dans le monde de l’édition, dans les diverses institutions notamment celles de la Francophonie, que l’on n’expose, par une sotte complaisance et une coupable indulgence, les autres le public en général à leur pernicieuse influence. Tout en reconnaissant la difficulté qu’il peut y avoir à réclamer que, dans ce qu’il est convenu d’appeler l’univers des arts et du spectacle, il soit pratiqué un français d’une certaine tenue, il ne faudrait pas moins qu’on l’y encourageât pour ceci que les chances sont plus élevées d’atteindre un plus large public qui, de plus en plus attentif à la beauté de la langue, ne peut que l’en davantage aimer, et il éprouvera alors, ce public, le désir de la mieux connaître, afin de la pouvoir mieux pratiquer.

Toutefois, il ne s’agit pas que de cela. Il est bien question, bien évidemment, de promouvoir le niveau le plus haut possible de maîtrise et d’excellence, mais la maîtrise et l’excellence pour souhaitables et même, nécessaires qu’elles soient, ne sauraient constituer des objectifs finaux. il faut aller plus loin, beaucoup plus loin. Et que signifie plus loin ? Beaucoup plus loin ? Cela ne signifie peut-être autre chose que nulle part. Nulle part, autrement dit sur le chemin de campagne, dans les bois, sur le chemin de la pensée, du penser. Les lecteurs de Derrida, c’est-à-dire ceux de Heidegger aussi, auront compris. (Et quant à ceux qui ne lisent ni Heidegger, ni Derrida, ils pourraient songer à s’y mettre.)

Reprenons ; l’à-venir du français (rien à voir avec l’avenir du français qui, nous l’avons plus haut suggéré, programmé et d’avance connu,, que l’on peut en tout cas, connaître, ce qui ne signifie nullement que ses potentialités soient limitées———-c’est là précisément qu’il peut, l’avenir du français, provoquer des malentendus et des contresens, grâce à sa richesse à sa profusion————-, ne saurait vraiment nous intéresser encore qu’il faille compter avec, encore que ce soit sans doute, ne serait-ce que provisoirement, une étape obligée) renvoie certes au passé (pluriel) et au présent, à ce présent passé à peine passé de la langue mais il y renvoie en tant qu’ils sont encore et toujours à venir. Ce passé et ce présent qui sont toujours à venir, bien qu’advenus, se donnent à lire dans certaines pratiques du français, lesquelles mobilisant et exploitant toutes les virtualités de la langue, la confrontant avec son passé et la faisant communiquer avec d’autres langues, jouant sur plusieurs scènes——-celles de l’Histoire, de la politique, des différents lieux du savoir, ———–simultanément (ou successivement) la bousculant et la triturant, ne négligeant aucune des possibilités que la langue renferme ou plutôt permet de dégager, accumulant les solécismes et multipliant les barbarismes tout en prônant le rigorisme le plus austère, empruntant au langage enfantin aussi bien qu’au langage savant, au langage de la rue aussi bien qu’à celui de l’Académie, bref à tous les langages possibles, en puisant dans ceux qui existent déjà et qu’elles transforment, tout en en inventant de nouveaux, interdisent la clôture de tout énoncé sur lui-même, contribuent à la dislocation et à l’émiettement des unités de signification et impossibilisent la constitution de tout sens définitif, pour produire une structure plurielle de part en part ouverte pouvant toujours fonctionner autrement. Le passé et le présent de la langue ne sont ni simplement niés, ni évacués, mais ils sont déportés vers un ailleurs où ils sont à la fois reconnaissables et méconnaissables.

S’il faut vraiment————-mais faut-il ? ———-parler d’exemple, il faudrait mentionner l’œuvre de Joyce ; cependant, l’œuvre de Joyce ne saurait être considérée comme étant un exemple, car impossible à répéter, et il en va de même pour tout travail réel de la langue pour toute pratique linguistique, pour toute pratique langagière qui œuvre à sa propre dé-stabilisation et contraint l’autre———–le lecteur, l’auditeur, ————-à une réécriture de tout énoncé. En français ————–et notre référence à Joyce redit clairement qu’il n’est pas question d’évoquer quelque privilège que détiendrait cette langue—————, ce travail de la langue on peut, pour peu qu’on se donne la peine de lire, le voir à l’œuvre comme peut-être dans aucune autre langue———-nous ne faisons que le constater sans insinuer qu’il n’est pas possible ailleurs, et en n’excluant la possibilité que nous puissions nous tromper en avançant qu’ « en français (……….), ce travail de la langue, on peut (…………) le voir à l’œuvre comme peut-être dans aucune autre langue »————-, notamment dans des travaux auxquels nous avons plus haut fait allusion.

Néanmoins, tout en insistant sur le fait qu’on ne peut revendiquer de statut spécial pour le français et en faisant ressortir que le travail de la langue dont nous croyons devoir souligner l’importance peut être entrepris et mené dans n’importe quelle langue————-ce n’est pas tant une question de langue qu’une question de travail de la langue, autour de sur pour et contre la langue par les locuteurs, nullement pour proclamer la souveraineté du sujet parlant, écrivant, pour, plutôt, accentuer la primauté et la portée de la langue, du langage dans tout ce que fait et peut l’être humain qui n’est qu’un être de langage—————–, nous estimons pouvoir et devoir dans la présente configuration géo-politico-économico-culturelle, border d’un trait particulièrement vigoureux la position et le rôle du français. L’à-venir du français, disions-nous plus haut, c’est le passé et le présent de cette langue……………, mais déportés vers un ailleurs……….  ; c’est mieux encore, la possibilité de la généralisation de certaines pratiques linguistiques et langagières qui, en faisant obstacle à toute forme d’idéologie, en s’opposant donc à toute d’hégémonie, d’impérialisme et de totalitarisme, en questionnant la notion d’autorité ouvrent un espace de liberté au sein duquel les relations entre les êtres humains eux-mêmes et celles qu’ils sont appelés à nouer, jusque-là bien souvent dans l’ignorance et l’inconscience, avec les autres êtres, les animaux et les plantes, avec les choses, ne peuvent être caractérisées que par le respect de l’altérité de l’autre, ou du moins par la volonté d’un tel respect———–ce serait déjà immense————-, et par un esprit de convivialité.

En effet, quand on aborde le langage la langue, avec ne serait-ce qu’un rien de suspicion à l’encontre des prétentions du sens, c’est qu’on ne peut pas, peut plus être de rien assuré. On ne peut, par conséquent, que se montrer ouvert à l’autre, aux autres, à tout autre, quel qu’il soit. On est amené à être attentif à et respectueux de l’autre et c’est le prélude à la mort de tout esprit de domination. Et comme, travaillant la langue, on ne songe pas à simplement répéter autrui, mais à inventer ————sans répudier la part d’autrui cependant, ———–son propre langage à soi, on fait preuve de reconnaissance tout en œuvrant à la libération de soi et à la modeste affirmation de sa souveraineté. Cela ne se fait pas qu’avec ni qu’à partir du français, mais cela est possible, s’effectue surtout à partir du français, à partir de certaines pratiques du français, de ce qu’on ne peut plus vraiment appeler le français, au sens traditionnel, bien que ce soit bien évidemment, le français, mais pluriel et comme étranger à lui-même, et les œuvres de Derrida, de Lacan, de Sollers, de Denis Roche, mais celle de Rabelais déjà et celles de Céline, de Bataille (Georges, bien évidemment), de Blanchot, de Julien Gracq et de tant d’autres, en sont la preuve. L’à-venir du français, c’est cette chance ———–et nous retrouvons sans même y avoir pensé, la devise de la République française, ————-de liberté, d’égalité et de fraternité (nous préférons, quant à nous, le terme de convivialité) pour tous sous réserve de ce travail dont nous avons déjà parlé, lequel, il le faut bien rappeler, n’obéit pas à des recettes préétablies, mais doit sans cesse et toujours être réinventé.

La liberté, l’égalité, la convivialité constituent la base même de rapports harmonieux entre les individus, les peuples, les nations et les États. C’est une tautologie que d’avertir que la possibilité même de rapports harmonieux est d’avance frappée de stérilité, pour peu qu’il y ait des velléités de domination, d’autoritarisme de sectarisme, et d’hégémonisme et les tentations non moins que les expressions d’extrémisme et de totalitarisme n’ont, même s’il est en ce moment et depuis un certain temps surtout une folie meurtrière de dictature que tout le monde aura vite fait d’identifier, jamais été aussi nombreuses et dangereuses qu’elles le sont actuellement. Le français, certaines pratiques du français, devenues possibles à partir du français peuvent fournir les moyens qui permettraient, permettront de combattre ces dangers, peut-être même de les éliminer, dans le pire des cas, de leur opposer une résistance de tous les instants. C’est une raison majeure pour que l’on travaille sans relâche à la plus grande diffusion possible de cette langue, en veillant qu’à aucun moment elle ne se transforme en fétiche, ni ne se fige en idéologie, et en s’assurant qu’inlassablement elle œuvre, dans le joyeux concert des langues, de toutes les langues, contre la dictature du sens achevé, mère de toutes les dominations et ancêtre de tous les totalitarismes. Il s’agit d’un travail difficile, interminable, voire impossible; d’autant plus nécessaire donc, d’autant plus qu’il y va de la liberté et de la dignité humaines, de la paix sur la terre, de la convivialité entre les êtres humains et entre les êtres et les choses. ; il y va du sort du monde. Avoir la chance grâce au français, grâce à certaines pratiques concevables à partir du français (au sens plus haut défini), d’œuvrer en faveur de la paix et de l’harmonie et ne rien faire, cela n’est guère noble. Faut-il encore ajouter que les différents gouvernements, à commencer par celui de l’État français, ont, pour les raisons que nous avons cru pouvoir relever, l’immense responsabilité de mettre à la portée d’un nombre sans cesse et toujours grandissant de personnes partout au monde les armes———–et nous les avons identifiée : il s’agit de ces pratiques linguistiques et langagières………, et nous avons également indiqué à quelles conditions elles deviennent réalisables, ————- qui feront d’eux des êtres libres et respectueux de toute forme d’altérité ? Mais il faudra au préalable éloigner tout ce qui abêtit et aveulit les hommes; la tâche n’en revient pas qu’aux gouvernements, mais ce sont surtout eux qui en ont le devoir, eux qui sont cause bien souvent (tout le temps ? ) que les hommes ne vivent guère mieux que des bêtes. C’est à eux principalement qu’il incombe de créer les conditions propres à susciter de l’intérêt pour la langue————le français——-, mais aussi pour les langues et le langage en général. Cependant, pour qu’ils veuillent bien créer lesdites conditions, il faut qu’ils soient convaincus de l’importance de ce travail de, sur autour de la langue. Il ne semble pas que le cas soit fréquent ; mais les enseignants, les professeurs, les penseurs, les écrivains, les intellectuels et les artistes en général ne doivent pas moins continuer leur travail. Fût-ce en pure perte. Pour l’instant….. , du moins……………………..