Au président Henri Guinard

In memoriam

Si je devais d’un mot illustrer celui qui m’honora d’avoir été quatre ans son vice-président, la générosité me viendrait d’abord à l’esprit, au sens cornélien s’entend, et tout naturellement pour l’éminent hispaniste qu’il était aussi. Et qui connut avec quelle constance, âme droite et esprit logique, Henri Guinard sut mener le combat pour les humanités sans se laisser séduire ni les laisser trahir au goût du jour ne s’en étonnerait pas.

Henri Guinard assuma la présidence de notre association en un moment doublement périlleux. Tandis qu’une crise interne l’avait laissée exsangue, seul il s’offrit à gouverner le vaisseau désolé. C’était en 1988. Et ce vaisseau c’est dans la tempête qu’il le gouverna, mais une tempête où il fallait, non seulement affronter le vent des réformes, mais aussi se garder des écueils insidieux, de ceux qui, croyant ou prétendant servir la cause, l’affaiblissaient en vérité, soit que, « tout occupé[s] à ne pas déplaire, à proscrire la difficulté », ils n’eussent annihilé « l’intérêt spécifique de nos études », soit que, condamnant au nom de ce qu’ils prenaient pour le progrès tout discours « donna[nt] lieu au soupçon de passéisme, au grief de ringardise1 », leur sectarisme idéologique, vouant aux gémonies les idées de patrimoine et de transmission, rendît pour ainsi dire caduque ce qu’ils disaient défendre et exclût avec nous ceux qui vraiment le défendaient.

Il fallait du courage et de la pugnacité pour tenir le cap en dépit des sarcasmes, quand Henri et l’A.P.L. se voyaient dénigrer pour leur hauteur de vue par ceux qui les toisaient du haut de leur armoire de classe et auxquels les auteurs mêmes qu’ils étaient censés expliquer ne laissaient pas sans doute de donner le vertige – les mêmes qui se gargarisaient d’un éloge éthéré et convenu des langues anciennes, de propos d’une « généralité récupérable par chacun », mais se refusaient « à définir des principes didactiques sans marier la carpe et le lapin, sans sacrifier le nécessaire apprentissage de la logique et de la rigueur, en lui-même sans doute austère, aux douceurs du survol de textes au profit de la civilisation2 ». Au reste le contexte n’a pas changé, la porte n’a pas cessé de s’étrécir, mais l’A.P.L. ne l’aura pas laissé refermer et le serviteur des lettres gagnera à méditer les quelques pages d’Henri Guinard que nous avons à son intention reproduites ici.

On disait Henri ombrageux. Ceux qui ont eu la joie de partager sa table savent pourtant combien ce bon vivant était bon camarade. Disons plutôt qu’une ardeur inquiète l’animait, la conscience aiguë de ce dont, grâce à lui, nous sommes restés les dépositaires.

Qu’il en soit ici tout aussi ardemment remercié.

Romain Vignest

1. Rapport moral du 2 avril 2006.

2. Éditorial du 28 septembre 2004.